Ahmad, de la Syrie en guerre à la lumière des podiums

  • Auteur/autrice de la publication :
Ahmad par Giampaolo Sgura

En 2018, Sara avait décrit pour la Newsletter de Tandem les raisons de sa fuite de Syrie avec son frère jumeau Ahmad. C’est lui que je rencontre place de la République, il raconte : « Le trajet pour arriver en France a été très dur et dangereux. On s’est débrouillés avec tous ceux qui partaient, il y avait beaucoup de blessés. On a passé des frontières à pied, pris des bus, des trains. Avec le recul, étant donné le manque d’hygiène et de sommeil, la nourriture mauvaise et insuffisante, nous avons eu beaucoup de chance de ne pas tomber malades. Nous sommes restés main dans la main, toujours ensemble, pendant les deux mois de notre périple, et ça nous a sauvés. »

« La France fait partie de moi »

Arrivés à Paris en février 2016, ils rencontrent Tandem par l’intermédiaire de leur mère Joumana qui vit déjà en France. Blandine (fondatrice de Tandem) décrit Sara et Ahmad comme des jeunes gens « solaires ». Ahmad, lui, se souvient que cette famille avait les bras grands ouverts : « Il n’y avait pas d’obstacle à créer des liens amicaux, on sentait qu’ils n’attendaient rien en retour, qu’ils aidaient pour aider ».

A la Sorbonne, Ahmad apprend le français qu’il parle presque sans accent et écrit bien. Il prête même ses cours aux autres étudiants de sa 2ème année de STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives). Ce qui l’a attiré dans le français, c’est la langue elle-même, sa beauté, sa sonorité : « Je ne supportais pas de ne pas comprendre les gens dans le métro, comprendre a été ma motivation ».

A ma question sur les difficultés pour s’intégrer, Ahmad répond qu’il n’aime pas le mot « intégration », mal adapté à ce qu’il ressent : « Ma philosophie c’est : même si l’autre ne fait pas le premier pas, moi je ferai les dix premiers pas. Quand on est partis de Syrie, je situais à peine la France sur une carte du monde, j’avais la Tour Eiffel et la baguette comme seules références. Maintenant si on me coupe de la France, c’est comme si on me coupe une jambe. La France fait partie de moi ».

Refuser les étiquettes

Ahmad le dit sans détour : « Je refuse de cataloguer et d’être catalogué, de mettre les gens dans des cases. Je ne suis pas un réfugié, ou même un réfugié qui réussit. Nous sommes tous des humains. Je déteste ces regards qui interrogent : tu viens d’où ? tu fais quoi ? ».

Bon dans tous les sports, il enseigne le break dance dans un institut privé dès ses 16 ans en Syrie. Il a de nombreux élèves enfants et adultes et gagne bien sa vie. Son bac en poche à 17 ans, il commence des études d’ingénieur pour suivre le conseil de son père. En France, repartant « à zéro » dans sa vie, il décide de suivre d’autres études. Opéré de l’épaule, il découvre le travail de rééducation et commence le STAPS, porte d’entrée vers les études de kinésithérapeute.

Une après-midi, il fait une démonstration de break dance à l’association BVSyrie qui s’occupe d’enfants syriens. Les enfants sont très agités et ne parlent pas français : « J’ai dansé, ils sont devenus très calmes, ils ont voulu essayer. Ça fait trois ans que je suis dans cette association où je me sens utile. J’ai besoin des liens inter sociaux, de transmettre, d’aider les gens. »

Solide face aux difficultés

On aimerait avoir sa force de conviction. Ahmad affirme : « Rien n’est un problème si on ne le considère pas comme tel, c’est plutôt un challenge. Que ce soit pour l’argent, le travail, les amis… si je suis persuadé que je peux réussir, je fais ce qu’il faut pour. Si quelqu’un réussit, je le prends comme modèle ».

Face à la violente actualité suite au retrait de l’armée américaine de Syrie, Ahmad se dit désabusé : « Tout ce qui se passe là-bas est triste et incompréhensible, d’une absurdité terrible ! J’essaie de ne pas critiquer, mais je ne peux rien faire. Je tente de faire avancer les choses d’une autre façon. Récemment on a montré une carte de la Syrie à la télé, il y avait des drapeaux turcs, de Daech, américains, d’autres. Pas un seul drapeau syrien ! Il y a encore 30 millions de syriens dans ce pays, mais parfois j’ai l’impression qu’il n’existe plus ».

23 ans et une vie bien remplie

L’adolescence d’Ahmad a été marquée par les printemps arabes : « On en parlait, on était des rebelles, on se sentait prêts à changer les choses. Bien sûr que la guerre fait mûrir les gens ». Il se sent socialement adulte, et en même temps il aborde la vie avec la gourmandise d’un enfant. 

Il y a plusieurs mois, à la sortie du métro, Christopher Landais, directeur de casting, l’aborde et lui donne sa carte. Ne connaissant rien du casting ni le métier de mannequin, Ahmad raconte : « On m’a dit marche ! Et j’ai marché ; essaye ça ! Et je l’ai fait. J’ai eu rendez-vous avec une marque allemande de vêtements, puis j’ai fait des campagnes de publicité, des défilés pour différents couturiers, on m’a suivi sur les réseaux sociaux. En janvier dernier j’ai signé un contrat avec l’agence Elite ».

Je suis comme tout le monde

Ahmad considère comme une chance qu’on s’intéresse à son histoire, mais il pense n’avoir rien de plus que les autres. Dans son travail de mannequin, il dit ne pouvoir transmettre que ce qu’il veut transmettre, nourri de cette histoire qui lui est propre. Il reconnaît avoir une certaine facilité à incarner les choses, à les jouer, tant qu’elles ne s’éloignent pas trop de ce qu’il est dans la vie : « Avoir découvert un autre monde, celui de la mode, me rend heureux. Mais je reste le même avec tout le monde, mon « noyau » n’a pas changé ».

Il a déjà fait l’objet de nombreux articles et photos dans plusieurs journaux de mode ou d’actualités et sur internet, qui mettent en avant son histoire de réfugié doublée de son parcours de mannequin, un mélange peu ordinaire. Ahmad analyse avec recul et sincérité : « Quand on vit sa vie, on ne ressent pas cette complexité ».

Trois années si vite vécues

Passionné par ses études, Ahmad veut devenir kinésithérapeute par goût d’aider les autres. Son souhait est de pouvoir « soigner le corps avec le cœur ».

Toutefois, il n’est pas si facile de se projeter dans l’avenir : « Il y a trois ans, j’ignorais que je viendrais en France ! Ce trajet de la Syrie à la France est comme irréel, trop rapide. C’est une transition de vie incroyable, comme un rêve. Parfois avec ma sœur on se dit, un peu tristes, qu’on ne se rend pas compte, qu’on ne sent pas vraiment les choses. C’est comme un repas délicieux où tous les plats passeraient trop vite, on ne peut pas déguster. Il nous manque un temps de repos pour pouvoir réfléchir à ce qui nous arrive ».

Avec Sara, ils disent s’étonner encore tous les jours : ici tout semble plus facile, plus rien n’est vraiment dur, et c’est aussi parce qu’ils sont deux, toujours solidaires.

Propos recueillis par Anne-Marie

Laisser un commentaire


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.