La Colombie, ses merveilles, sa violence !

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Dans sa lettre d’avril 2022, Tandem Réfugiés racontait les « combats d’Angela » qui avait dû fuir la Colombie où elle était menacée à cause de son père, un militant FARC repenti. Aujourd’hui, nous vous proposons de découvrir pourquoi des femmes et des hommes comme elle se trouvent en situation de devoir abandonner leur pays.

La Colombie, ses plages, sa biodiversité incomparable, son désert de la Tatacoa, ses sites archéologiques, ses dégustations de café… Depuis que les FARC-EP1 ont déposé les armes et après l’accord de paix signé en 2016, la Colombie est devenue un pays fréquentable. Mais les touristes oublieux des décennies de conflits armés savent-ils qu’avec le Mexique, la Colombie est toujours l’un des pays les plus violents et dangereux, surtout pour les femmes ?

Constatant un accroissement conséquent des demandes de protection de la part de personnes venant de Colombie2, l’OFPRA (Office Français pour les Réfugiés et les Apatrides) a diligenté une mission de recueil d’informations en février 2024. La lecture du rapport est glaçante3.

S’il existe de nombreuses institutions colombiennes qui œuvrent pour la protection des citoyens menacés par les mafias et les groupes armés, d’autres sont vivement critiquées, en raison notamment du manque de moyens dont elles pâtissent, ou de faits de corruption, ce qui entraîne une défiance généralisée à leur égard.

Malgré de nombreuses lois censées protéger les femmes colombiennes, la violence endémique de genre liée au machisme structurel est la cause d’un taux de féminicides et d’agressions intrafamiliales à faire dresser les cheveux sur la tête, surtout lorsque l’on sait que seule une petite partie de ces violences sont dénoncées. Ce faible taux de dénonciation s’explique par la soumission des femmes, souvent inculquée dès l’enfance, au père, au frère, au compagnon, au mari ; le manque d’accès à l’éducation pour une part élevée de la population (les femmes ne connaissent pas leurs droits) ; et la croyance très avancée que c’est la femme seule qui est responsable des violences domestiques subies.
Ainsi en 2023, entre 400 et 500 féminicides ont été déclarés4, et pour les seuls premiers cinq mois de l’année 2024, 63 528 cas de violences intrafamiliales5 ont été dénoncés – 35 % de plus que l’année précédente à la même période. Ce sont les femmes les plus vulnérables, dans les campagnes, en périphérie des villes, souvent aux mains du grand banditisme, qui sont les plus sujettes aux violences.

Pourquoi encore tant de violences ? Plusieurs raisons sont retenues qui se combinent :

  • le narcotrafic et les conflits armés qui perdurent, notamment dans le sud du pays. Les femmes deviennent une possession des groupes armés qui recrutent de force filles et jeunes femmes comme esclaves sexuelles ;
  • les migrations forcées du fait des conflits armés, qui ont entraîné près de 9 millions de déplacés, ont laissé les femmes, souvent seules, à la merci des bandits sans aucune protection ni revenu ;
  • la corruption. Même si elle tend à diminuer, elle perdure à tous les échelons des institutions étatiques ;
  • le niveau d’impunité qui est de 80 % n’incite pas à porter plainte et n’effraie ni les violeurs ni les agresseurs potentiels. Le taux de condamnation pour les féminicides n’excède pas 35 % !
  • un certain tourisme aussi a sa part. Le corps des femmes, dont une esthétique ultra sexuée est véhiculée depuis des années par la culture des narco-trafiquants, est « chosifié ». Les hommes les considèrent plus comme une marchandise que comme les compagnes d’une vie.
  • des réseaux de traite transnationale aux fins d’exploitation sexuelle ont des prolongements jusqu’en Europe et se développent de façon exponentielle.

Pourtant, de nombreuses organisations de défense des droits des femmes ont vu le jour depuis quelques années, ainsi que des mécanismes de prévention et de protection comme des lignes téléphoniques d’urgence, des « casas de refugio »6. La protection de femmes courageuses, leaders et défenseuses des droits humains, particulièrement ciblées par les terroristes, fait l’objet d’un programme spécial.

En conclusion, on est tristement obligé de constater qu’en dépit d’un cadre légal protecteur, qui reconnaît notamment le délit de féminicide, les violences faites aux femmes en Colombie demeurent un sujet de préoccupation majeur. Tandem Réfugiés n’a pas fini d’accueillir des Angela.

Emmanuelle

1 Forces armées révolutionnaires de Colombie – Armée du peuple (en espagnol : Fuerzas armadas revolucionarias de Colombia – Ejército del Pueblo).

2 Les demandes sont passées de 479 en 2020 à 1478 en 2023.

3 La mission s’est déroulée du 4 au 17 février 2024, le rapport de 120 pages a été rendu en juin 2024.

4 Sur une population d’un peu plus de 52 millions d’habitants.