Moi qui aurais dû mourir en mer, je peux encore chanter

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Cyril est un homme à la voix douce, souriant, fin, précis. Lorsqu’on échange avec lui, il raconte sans pathos son parcours, avec un souci du détail, des dates, des événements.

Son histoire est sans doute semblable à celles de tant d’autres réfugiés, pleine de tourments, de drames, de massacres, d’exils, de périls, de pertes d’êtres chers.

Celui « qui aurait dû mourir en mer » a reconstruit sa vie depuis son arrivée en France en 2020 grâce à la Cimade et à Tandem, et grâce à un courage et une détermination admirables.

Cyril est congolais. Il a passé le bac au Congo avec une option pédagogie, ce qui permet d’enseigner comme instituteur dans les écoles primaires. Il s’apprête à entrer à l’université, mais son père qui est dans le business et proche d’associations humanitaires, est assassiné au Congo en septembre 2008. Alors il fuit avec son plus jeune frère au Burundi où il sera instituteur, se mariera et aura un enfant. Il y reprend des études à l’université et obtient en 2015 une licence de droit qui lui sera très précieuse. La guerre civile entre Hutus et Tutsis et ses massacres s’étend au Burundi.

Bien que les ressortissants Congolais soient neutres dans ce conflit, son beau-frère et lui sont tabassés à un check-point et « laissés comme morts, en lambeaux » ; ils seront soignés par des prêtres, ses beaux-parents sont assassinés, sa femme et son enfant ont fui en Tanzanie. Il part à leur recherche dans les camps de réfugiés mais ne les trouve pas.

Quitter l’Afrique

Après les massacres et l’exil, à nouveau l’exil. On lui a parlé de Mayotte alors ce sera la voie de la mer avec son jeune frère, les passeurs, les embarcations de fortune sur lesquelles on risque là aussi sa vie. Il faut attendre qu’il y ait assez de passagers pour partir, repayer en donnant son téléphone afin de franchir les kilomètres qui séparent les Comores de Mayotte, évacuer l’eau que prend la mauvaise embarcation…. risquer encore sa vie parce qu’avec son maillot du PSG, les gendarmes l’ont pris pour un passeur. Il est remis à la police des frontières, envoyé dans un centre de rétention administrative.

Le chemin est encore long et une autre bataille commence, administrative cette fois, pour demander l’asile, ce qu’il fait avec son frère dès leur arrivée à Mayotte en octobre 2017, obtenir un statut de réfugié et un titre de séjour, puis un titre de voyage. A Mayotte, l’administration est bloquée car il y a beaucoup de demandes de réfugiés. Grâce à ses connaissances en droit, Cyril fait l’interprète pour d’autres réfugiés et assiste une avocate qui s’occupe des droits des étrangers.

Son frère et lui quittent Mayotte pour Paris le 31 décembre 2018 avec leur carte de séjour, enfin obtenue de haute lutte. Pourquoi Paris ? « Parce que c’est là que les décisions se prennent » ; c’est aussi là qu’on trouve du travail.

Après un hébergement d’urgence dans un gymnase, où le hasard fait qu’il se retrouve avec un colocataire qui sort de prison, il obtient un petit logement à lui situé à Bondy. Pendant le confinement, vivre dans 14 m² surface de placards comprise, ça donne envie de sortir. Au Congo, on parle de nombre de pièces pour une maison, et il est impensable de compter les mètres carrés des rangements.

Un avenir plus serein

Pendant la première année de Covid, Cyril se forme pour devenir accompagnant éducatif et social pour des personnes vivant avec un handicap, et obtient un diplôme d’Etat. Ses qualités pédagogiques et son expérience antérieure lui sont utiles.

Il est actuellement titulaire d’un emploi en CDD de la fonction publique et travaille dans une école du XXème arrondissement de Paris. Le salaire n’est pas mirobolant ; le temps partiel de 24 heures par semaine prenant et fatigant. C’est un travail dur, car les enfants autistes accueillis dans cet établissement demandent énormément d’attention, d’investissement. C’est lui qui les connaît le mieux car il les accompagne dans les gestes les plus intimes de leur vie à l’école, et il remonte les informations les concernant aux autres intervenants extérieurs.

Pour compléter son salaire, il effectue des livraisons et connaissant le droit international, il assure une fonction d’interprète auprès de la Cimade dont il fait partie depuis son passage à Mayotte, pour des personnes qui parlent les langues qu’il connaît. La précision des mots et la qualité de l’interprétation ont en effet toute leur importance, il le sait. Ainsi, lorsqu’il a été entendu par l’OFPRA, s’agissant de sa famille, il a fait rectifier le terme « tuée » par « massacrée ».

Une force et une détermination, que l’on sent transmissibles, émanent de lui. Quelles leçons tire-t-il de sa trajectoire ?

Lorsqu’on traverse ce type d’épreuves « Il ne faut jamais laisser tomber. Ne laisse pas les gens te dissuader » dirait-il à d’autres personnes qui pourraient être tentées de prendre la mer. Mais il ne faut prendre tous ces risques que lorsque sa vie est en danger. A ceux qui s’en sont sortis, comme lui, au péril de leur vie, il dit : « On a de la chance, on n’a pas le droit de tomber en dépression. Moi qui aurais dû mourir en mer, je peux encore chanter », dit-il pour signifier que la dureté de la vie en France n’est rien en comparaison de ce qu’il a traversé.

Tandem l’a aidé à trouver un stage pendant sa formation et lui a permis de rencontrer des personnes sympathiques avec lesquelles on peut échanger, parler ; c’est important quand on n’a pas de famille.

La vie de Cyril est marquée par de douloureuses épreuves, mais il a de bonnes nouvelles pour le futur : il a retrouvé sa femme qui a refait sa vie et son fils, vivants. Son fils le rejoindra à Paris, prochainement.

Déjà titulaire d’une licence en droit, dont l’équivalence a été reconnue, il va s’inscrire en master de droit international dans une université parisienne à la rentrée prochaine. Une autre page alors s’ouvrira car c’est un homme précieux, dont le vécu, les compétences, l’expérience permettront d’aider d’autres réfugiés à recommencer une vie chez nous.

Marie-Agnès Bernardis

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