Le parcours de Félicité, de la survie dans la rue aux métiers du soin

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Il a fallu du temps à Félicité avant d’accepter de témoigner. Outre le fait qu’elle est très prise par son travail, par sa fille et des démarches administratives, elle a posé des conditions : ne pas parler des raisons qui l’ont poussée à fuir la Côte d’Ivoire, ni raconter en détail ses premiers mois en France.

Elle m’accueille chez elle à Paris dans le 19ème et commence son récit : « J’ai quitté l’école en CM1. Je suis partie de mon pays en 2019 ; j’avais 29 ans. J’ai pris un avion jusqu’en Tunisie. En arrivant en France, je ne connaissais personne, et je n’ai gardé aucun contact en Afrique ». Les six premiers mois, Félicité survit dans la rue. Enceinte et diabétique, ses malaises la conduisent souvent aux urgences à la Salpêtrière. Pour quelques semaines, elle est hébergée à la Cité des Dames, lieu d’accueil ouvert par l’Armée du Salut dans le 13ème arrondissement.

Se diriger vers un métier indispensable

Alors qu’elle est retournée dans la rue, enceinte et épuisée, elle rencontre l’association COALLIA qui l’aide à rédiger sa lettre de demande d’asile pour l’OFPRA. À la suite d’un refus, elle est accompagnée par un avocat commis d’office qui dépose un recours devant la CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile). Quand elle obtient son statut de réfugiée, cela fait déjà un an et demi que Félicité est arrivée en France. Le 115 lui procure une chambre d’hôtel à Clichy, puis à Asnières où elle peut enfin préparer ses repas. Sa fille Leïla naît fin 2020.

L’avocat l’oriente vers l’association Tandem. Blandine répond à son appel, mais en période de Covid, trouver des bénévoles disponibles demande des mois. Avec son niveau d’école primaire, Félicité a des difficultés pour lire les documents et les messages. C’est Agnès qui va l’aider à rédiger les courriers, faire les démarches administratives pour un logement d’urgence décent. La situation de Félicité est compliquée : elle est entre deux départements qui se renvoient le dossier. C’est grâce à l’obstination et à la persévérance d’Agnès qu’une solution est enfin proposée. Agnès trouve aussi un cours de français pour Félicité et l’accompagne à la Maison de la Femme à Asnières pour passer des tests de niveau. Félicité envisage une formation d’aide à la personne « non limitée à une tranche d’âge », car elle veut un métier qui lui permette de trouver du travail « quoi qu’il lui arrive ». Pôle Emploi l’oriente vers la formation d’Assistante de Vie aux Familles (ADVF), ce qu’elle trouve idéal puisqu’on y apprend aussi bien le soin aux enfants et aux personnes âgées qu’aux handicapés.

Pendant sept mois, Félicité court beaucoup, dépose Leïla très tôt à la crèche et arrive juste à temps à sa formation. Sa formatrice aime passionnément son métier et lui communique son enthousiasme. Grâce à divers stages en EHPAD et dans des maternelles, Félicité découvre qu’elle aime surtout prendre soin de personnes âgées.

Passer l’examen qui valide cette formation génère beaucoup de stress : Félicité, qui n’a aucun diplôme, doit se présenter devant un jury de professionnels de santé, à l’oral et pour les exercices pratiques. Dans une mise en scène adaptée, des comédiens jouent les rôles des gens âgés et des handicapés, et des poupons remplacent les enfants. Mais elle surmonte ses craintes et obtient son diplôme d’Etat.

« Mon travail consiste à aider la personne selon ses besoins, faire le ménage, les courses, les repas, l’habillage, la toilette, mais aussi échanger, parler de l’actualité, remplir le chéquier, faire des démarches administratives. Il faut avoir un regard critique pour repérer ce qui est à solutionner ». Toutefois Félicité ne souhaite pas s’occuper de personnes à leur domicile, car ça l’obligerait à passer trop de temps dans les transports. En 2022, elle signe son premier contrat à l’Institut Solemnes pour les malades d’Alzheimer à Courbevoie. Elle a les compétences nécessaires : résistance physique, sens du service, patience, bienveillance, contrôle de soi (beaucoup d’agressions verbales), disponibilité les weekends…et sait garder le sourire quoi qu’il arrive !

Enfin un logement pérenne

Toujours logée dans un hôtel à Asnières, Félicité est prise en charge par Laura, l’assistante sociale de Tandem, qui lui crée un compte sur le site d’Action Logement Services. En avril, on lui propose un deux-pièces dans le 19ème arrondissement de Paris. Le déménagement s’organise entre deux journées de travail. Félicité achète quelques meubles, des connaissances lui donneront une table pour les repas et d’autres objets utiles : « L’immeuble est agréable, ainsi que le gardien et les voisins, c’est calme, il y a des arbres. Et Leïla s’est adaptée rapidement à sa nouvelle classe de maternelle ».

Mais il a fallu trouver des solutions, car il n’y a pas de garderie avant et après l’école, et le centre de loisirs est cher. Pour arriver à son travail, Félicité a une heure de transport matin et soir, et rentre à 21h. L’entraide s’organise avec d’autres mères du quartier pour aller chercher sa fille à l’école et la garder le temps qu’il faut.

Comme Félicité donne toute satisfaction dans son travail, l’entreprise lui propose une formation d’aide-soignante. Sélectionnée, elle passe une audition devant un jury de médecins, infirmiers et cadres de santé. Encore du stress, mais la réponse est arrivée en juillet : elle a réussi ! La formation de six mois débutera en septembre.

Aide-toi et les associations t’aideront

L’aide de Blandine, Agnès et Laura de Tandem a été très précieuse. Félicité aimerait venir aux Cafés Tandem et aux pique-niques, mais elle travaille souvent les weekends : « Agnès compte beaucoup pour moi. On s’appelle, je la tiens au courant. Mon accompagnement est terminé depuis mars 2023, mais comme je n’avais pas encore de logement, Tandem a prolongé jusqu’à ce que j’aie une solution à long terme. Je dois aussi beaucoup à Laetitia de l’association « Marraine et Vous », sa famille est comme ma famille, cela m’a redonné confiance. Elle garde parfois Leïla, nous propose des sorties, des déjeuners, des dîners ».

Croire en ses rêves

« Mon but est de travailler à l’hôpital. Je suis heureuse de bientôt commencer la formation d’aide-soignante, car jusqu’à maintenant je dépendais toujours d’une autre personne. Or je n’aime pas être limitée, je veux pouvoir donner des médicaments, faire des pansements, prendre les glycémies, intervenir en cas de chute ».

A son sourire je devine la suite : « Bien sûr je voudrais devenir infirmière, être vraiment responsable de mon travail. Je suis appréciée par mes responsables qui croient en moi, m’encouragent et fêtent mes réussites, c’est très positif ».

Félicité ne peut s’empêcher de regarder le chemin parcouru depuis son arrivée en France : « Ça a été très difficile au début, mais je suis fière de la façon dont les choses avancent. Ma foi m’aide beaucoup, c’est important de croire à quelque chose. Je lis la Bible, et je parle à Dieu comme on parle à un ami…Je me lève à 5h45 et rentre à 21h. Je paye ma carte de transport et mes impôts. Je ne touche pas le RSA, pas d’APL. Quand des personnes traitent indifféremment tous les migrants d’assistés, ça me fait mal ».

Et maintenant, quel rêve ? : « Partir en vacances ! Faire du camping avec ma fille, respirer ! ».

Témoignage recueilli par Anne-Marie – été 2023

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