Itinéraire d’une famille Syrienne

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Radwan, la cinquantaine, est venu à notre rendez-vous avec sa fille Eva, âgée de 18 ans ; car s’il parle bien anglais, il se dit encore insatisfait de son français. Ces deux-là respirent la gentillesse et restent pudiques sur les raisons qui les ont poussés à fuir la Syrie. Quand ils me donnent le nom de leur ville à 10 km de Damas, Jdeidet Artouz, le fil des horreurs qu’ils ont vécues n’est pas difficile à tirer.

Tandem Refugies - Radwan Eva

La guerre au quotidien

De nombreux articles décrivent la guerre dans cette banlieue du sud-ouest de Damas :

Libération 2-8-2012 – A Jdeidet Artouz, une localité au sud-ouest de Damas, un raid des forces de sécurité a fait 43 morts. Les forces du régime ont pénétré à Jdeidet Artouz, ont « arrêté une centaine de jeunes et les ont enfermés dans une école où ils ont été torturés», selon l’OSDH (Observatoire syrien des droits de l’Homme). Jeudi matin, après l’opération, les corps de 43 personnes ont été retrouvés. Certaines ont été victimes d’exécutions sommaires, a précisé l’ONG.

Le Parisien 20-4-2013 – Les combats ont touché les zones sunnites de la localité voisine de Jdeidet Artouz, à majorité chrétienne, a ajouté l’OSDH qui s’appuie sur un réseau de militants et de médecins à travers la Syrie en proie à une guerre civile. Les banlieues de Jdeidet al-Fadl et Jdeidet Artouz se trouvent à proximité de Daraya, que l’armée tente depuis des mois de reprendre aux rebelles.

De cet enfer Radwan et Eva racontent seulement des bribes… « On sortait de la maison et il y avait des morts dans la rue, tous les jours. Il y avait des morts sur le chemin de l’école, et devant l’école. » Ils parlent des semaines sans eau ni électricité, de la police qui débarque dans la maison : « il ne fallait rien dire, rien faire, rester calme surtout ». Radwan, ingénieur agronome de formation, perd son travail quand la Shell, pour laquelle il a travaillé 20 ans, quitte la Syrie. Sa femme Maha reprend son travail de professeur d’arabe en collège. Dès 2012 pour les trois enfants, Eva, Aya et Tareq, les trajets vers l’école à Damas sont de plus en plus risqués. Seul le paiement d’une rançon permet d’éviter à Tareq d’être réquisitionné par l’armée.

Quand leur maison est bombardée, la famille se réfugie chez le grand-père au centre de Damas.

Radwan, malade du cœur, est dans l’impossibilité de trouver les médicaments dont il a besoin, et l’opération dont dépend sa survie est inenvisageable. La vie est trop dangereuse pour sa femme et ses enfants, ils n’ont pas de futur en Syrie.

Partir : un parcours infernal

Pour quitter la Syrie, Radwan envisage toutes les possibilités : Obtenir un passeport et visa pour la France en passant par Beyrouth ? Il faudrait 3000 dollars. Aller en Turquie puis gagner la Grèce par la mer ? Il y a tellement de morts, c’est un pari qu’il ne veut pas prendre s’il veut par la suite aider sa famille à quitter la Syrie. Radwan se rend à Beyrouth (il n’y a pas d’ambassade de France en Syrie) pour faire une demande d’asile à la France, et obtient une réponse positive du Ministère de l’intérieur au bout de dix mois. Il décide de raconter autour de lui qu’il part au Brésil (où il envoie un sac), et qu’il fera un transit par l’Europe. Il obtient un visa pour Chypre et pour la France.

En septembre 2014, après deux jours à Larnaka à Chypre, il arrive à Charles de Gaulle où il vit dix jours dans le centre d’accueil. Radwan passe devant la Cour de Justice qui l’interroge sur les raisons de sa venue en France et l’autorise à rester dix jours en France, s’il y connait quelqu’un. Mais au bout de quatre jours il est menotté bras et jambes et renvoyé sans explications à Chypre, seul dans un avion avec deux policiers. Sans ses médicaments pour le cœur et épuisé, il est interrogé pendant des heures et mis en prison. De bureau de l’immigration en camp de réfugiés, personne ne répond à ses questions. Jusqu’à ce qu’un responsable lui dise dans un éclat de rire : « les Français n’avaient pas le droit de vous renvoyer à Chypre ! ».

Radwan passe six mois à Chypre avant de recevoir l’autorisation de revenir en France. Avec son passeport mais pas d’autres justificatifs, il fait encore une escale mouvementée dans le poste de police de l’aéroport de Varsovie, et revient enfin à Charles de Gaulle.

Pris en charge à l’aéroport par la Croix Rouge, dont il loue l’efficacité et la bienveillance, il obtient un rendez-vous à la Préfecture et constitue son dossier pour l’OFPRA. En juin 2015, trois mois après sa deuxième arrivée en France, il obtient sa carte de séjour et peut faire une demande pour que sa famille le rejoigne. Sa femme et ses trois enfants arrivent à Paris le 1er juillet 2016.

Un jour tout ira mieux

La famille bénéficie d’un statut de protection subsidiaire, qui doit être renouvelé tous les ans. Radwan explique : « Si j’avais menti, raconté qu’il y a eu des morts dans ma famille, peut-être que nous aurions le statut de réfugiés, pour dix ans. Mais je refuse de mentir, j’ai toujours été honnête. J’ai déposé un recours mais il a été refusé ». La carte de séjour coûte 300 € chaque année, pour chaque membre de la famille.

Radwan explique : « Nous sommes venus pour étudier et travailler mais ma santé ne me permet pas de travailler. Avec ma femme nous suivons des cours de français deux fois trois heures par semaine à l’association « DireLire » de Palaiseau : Maha cuisine très bien, elle pourrait trouver un travail dans la restauration, ou enseigner l’arabe. » (Note de la rédactrice : j’ai goûté ses fameux gâteaux aux dattes les « maamoul », un pur délice !)

Pour l’instant la famille vit de diverses aides et bénéficie de la CMU. Radwan est admissible à une greffe de cœur, il souhaite rester vivre à proximité des deux hôpitaux qui lui ont procuré des certificats pour en bénéficier. Après une greffe, il pourrait retravailler.

La famille a un logement à Orsay depuis deux ans, mais devra le quitter dans quelques semaines. L’assistante sociale, en lien avec « Madame Catherine » l’accompagnatrice de TANDEM les aide dans la recherche d’un autre appartement.

La France, TANDEM, la Croix Rouge : merci !

Aya, 15 ans, est passée directement en classe de 4ème. Pendant la première année, difficile, elle a suivi les cours de français 2ème langue et vite rattrapé le niveau de la classe. Elle se rêve artiste.

Eva raconte : « au début j’étais très isolée dans la classe, on faisait des commentaires sur moi. Madame Catherine a rencontré le CPE, tous les profs ont été mis au courant de ma situation. Maintenant j’aime beaucoup mon lycée. Je passe en 1ère S (c’est le niveau que j’avais en Syrie), j’aimerais rester dans ce lycée puis faire des études de pharmacie. Madame Catherine nous a obtenu des petites bourses d’études, et Prune de TANDEM m’aide souvent pour les maths, parfois par Skype. »

Tareq, 21 ans, a suivi des cours de français à Paris VIII et souhaite intégrer une filière en économie.

Eva dit : « l’association TANDEM nous aide sur beaucoup de plans, et aussi pour payer une part de nos cartes de séjour, pour constituer le dossier pour la CMU et pour toutes les démarches administratives très compliquées pour nous. Nous voyons notre marraine Sophie tous les trois mois, elle nous a reçus, et emmenés à Disneyland avec sa fille. Nous venons aux cafés du 1er samedi du mois, aux sorties cinéma »

 Radwan conclut : « nous sommes musulmans, et pour nous ce qui compte c’est d’être gentils avec les gens, nous recevons tellement. J’ai aussi beaucoup d’admiration pour les gens de la Croix Rouge de Charles de Gaulle, ils ont extraordinaires et je reste en contact avec eux. ».

Leurs sourires à tous deux en dit long.

Propos recueillis par Anne-Marie

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