Les combats d’Angela

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Quand elle vivait en Colombie, Angela, aujourd’hui âgée de 33 ans, était déjà une vraie battante. Tout comme l’est sa mère, qui a élevé seule ses quatre filles en cultivant la terre héritée du grand-père au centre du pays, dans la région du café, « Eje cafetero »

Angela étudie au collège d’agriculture puis obtient un diplôme d’ingénieur agro-alimentaire. A quinze ans, elle rencontre son futur mari, avec qui elle aura deux enfants. Elle devient assistante administrative dans une entreprise industrielle internationale. En parallèle, jusqu’à quelques jours avant de fuir son pays, elle montait avec sa mère un projet de production de café bio.

Une vie qui se brise

Quand Angela avait cinq ans, son père a quitté les siens pour devenir combattant des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Au moment de l’accord de paix avec le gouvernement, il devient un « repenti » et quitte les FARC. Angela était la seule de la famille qui soit restée en contact avec lui, très occasionnellement.

Les repentis ont été contraints de donner des informations sur leurs proches, et les représailles ont commencé. Un de ses oncles a été abattu sauvagement sans que la police n’intervienne. Angela a commencé à recevoir des lettres anonymes chez elle, puis à son travail : « les filles de la guérilla ne sont pas bienvenues ici », « il faut partir ». 

C’est ce que finit par faire Angela pour sauver sa vie. Alors qu’elle et son mari venaient d’acheter une maison, elle vend quelques objets pour payer un billet et obtenir un passeport de tourisme de 90 jours. Elle s’envole pour la France en juin 2019, laissant ses enfants et son mari. Mais celui-ci tombe gravement malade et décède d’un cancer en 2020, tout seul à l’hôpital à cause de l’épidémie de Covid.

Angela évoque l’abandon involontaire de ses enfants avec beaucoup de douleur : « pendant un an, jusqu’en septembre 2021, ils se déplaçaient avec leur valise, toujours séparés, chez les grands-mères et les tantes. Ils n’avaient plus de maison, dormaient dans les lits des cousins, allaient de la ville à la campagne et inversement sans rien comprendre, sans leurs parents pour leur expliquer cette situation ».

Travailler sans trêve ni repos

Quand Angela arrive à Roissy, elle n’a aucun contact en France, presque pas d’argent et ne parle pas un mot de français. De l’aéroport, elle joint un ami d’école aux Canaries qui lui indique un hébergement à Argenteuil. Dix Colombiens s’y partagent deux chambres : « j’avais un canapé, je ne dormais pas et je pleurais tout le temps ». Elle accepte tous les petits boulots, y compris des déménagements : « j’ai même porté des frigos ».

Une famille colombienne lui propose de garder leur enfant, à Pigalle. Angela travaille six longues journées par semaine, pour un salaire mensuel de 250 € dont elle envoie une partie aux siens.

On lui propose de partager un appartement à Orly avec quatre étudiantes colombiennes : elle a enfin une chambre et un lit, mais la totalité de son salaire est englouti par le loyer. Quand la location s’arrête, elle part vivre à Aubervilliers dans une chambre plus chère, avec pour aide l’Allocation pour demandeur d’asile de 400€ (ADA) : « j’étais comme une gitane, toujours entre deux hébergements. Quand il y a eu des grèves de transports, j’ai fait tous les trajets Aubervilliers-Pigalle à pied. J’étais tellement épuisée que j’ai dû abandonner mon travail ».

« J’ai toujours trouvé une main tendue »

Aux pires moments, des amis qui travaillaient dans des restaurants lui ont donné de la nourriture, et des espèces pour sa carte Navigo. En cherchant du travail sur un groupe Facebook, Angela rencontre Maurice, un veuf qui parle espagnol et qui la recommande à des amis. Angela commence un marathon de ménages, qui la fait se lever à 5h du matin. Elle va à Nanterre, à Robinson, à Antony, puis à Saint-Denis et rentre épuisée à 22h : « je faisais plus d’heures de métro que de travail, je gagnais 450€ en espèces. Je n’avais pas assez pour le loyer et la nourriture ».  

Elle rappelle Maurice, qui, déprimé suite à la mort de sa femme a laissé sa maison devenir un taudis : il lui propose d’arrêter ses autres ménages pour tout nettoyer chez lui. Cela prend des semaines, mais elle peut enfin faire quelques économies, payer un loyer de retard. En août 2020, quand son mari meurt, Angela veut tout arrêter. Là encore, on lui tend la main : une Espagnole qui vient d’adopter un garçon africain lui demande de l’initier à l’espagnol : « cette femme m’a aidée à passer le cap. Sinon je serais peut-être retournée en Colombie, malgré les risques pour ma vie ».

« Google traduction » mon ami

Angela vivait en France depuis plusieurs mois mais elle n’avait encore fait aucune démarche pour sa demande d’asile, et aucun progrès en français par manque de contacts avec des francophones. Quand on lui demande son permis de travail pour un emploi de femme de ménage, elle se rend à l’OFPRA. Un homme rencontré dans la file d’attente traduit pour elle, et elle obtient un rendez-vous en urgence. Elle rédige seule son récit de vie pour l’OFPRA grâce à Google traduction : « Je ne savais même pas comment envoyer mon dossier. Par la suite je suis devenue une sorte de « VIP de la Poste », avec toutes les lettres que j’ai écrites » raconte-t-elle avec humour. Angela obtient son le statut de réfugiée en décembre 2020.

Son téléphone rechargeable lui permet de rester en contact quotidiennement avec ses enfants, d’étudier les plans des métros et des trains sur internet. Angela épluche le Soliguide** qui liste les associations d’aide aux personnes en difficulté. Là encore elle rédige seule une lettre grâce à son traducteur Google : « j’ai envoyé plus de cent lettres et mails aux associations, en expliquant ma situation de veuve, mes enfants seuls en Colombie. Je suis restée un mois sans aucune réponse. Un soir à 22h, j’ai reçu ce message de Blandine : tu n’es pas seule en France, nous sommes avec toi ».

C’est Catherine qui devient son accompagnatrice. Elle l’aide pour les démarches administratives, la CAF, la Sécurité sociale : « je suis en confiance avec Catherine. Elle m’accompagne jusqu’à un certain point puis me dit que je suis capable de continuer seule. Elle me donne l’énergie, m’indique des adresses, et à la fin me félicite en disant : c’est toi qui as fait tout ça ».

Angela a fait trois demandes pour faire venir ses enfants en France. Elle a écrit des lettres au Ministère de l’intérieur avec l’aide de Catherine, et enfin obtenu leurs visas. Elle a fait des économies en louant un appartement moins cher, travaillé plus, vendu tous les objets de sa maison en Colombie. Marie-Odile l’a accompagnée pour accueillir ses enfants à Roissy, un moment de joie extraordinaire.

« Je vais bien car mes enfants vont bien »

Depuis l’arrivée de ses enfants, la vie d’Angela a changé. Grâce à l’association Sainte-Geneviève, ils ont obtenu un appartement à Chatillon. Même si elle a quelques soucis de santé, et si des papiers manquent encore, elle sourit : « tout ce qui m’est arrivé en valait la peine. Je me réveille et ils sont là, cela suffit à me rendre heureuse ».

Silvana, 9 ans, parle bien français, et corrige les fautes d’Angela. Juan Jo, 15 ans, est au collège dans une classe pour non francophones, il progresse bien. Ils ont découvert la mer cet été et vont profiter du Pass’Sport*** pour s’inscrire à des activités sportives.

Angela ne veut pas que ses enfants subissent le « Paris-galère » qu’elle a vécu : elle souhaite pour eux « une vie magique ». Elle s’est inscrite à des groupes Facebook pour des visites gratuites dans les cinq plus belles villes d’Ile de France accessibles avec la carte Navigo : « je n’oublierai jamais ma première visite de Versailles ». Elle a eu un CDI dans la restauration et a réussi à faire valider son diplôme d’agro-alimentaire.

Désormais, le rêve d’Angela est de travailler à la SNCF ou à la RATP. Elle a déjà passé un entretien et fait le test de mathématiques et de personnalité. A terme, elle aimerait conduire un métro.

Angela sait qu’il faudra encore franchir beaucoup de barrières, peut-être commencer tout en bas de l’échelle, améliorer son français, passer son permis de conduire. Elle est pleine d’espoir et en attendant, elle lit des livres sur l’histoire du Métropolitain.

* OFPRA : Office français de protection des réfugiés et apatrides

** Soliguide.fr : plateforme qui référence les services utiles et accessibles aux personnes en difficulté. C’est une solution élaborée avec les bénéficiaires et acteurs de l’action sociale

*** Pass’Sport : aide financière de 50€ versée par l’état pour réduire le coût d’inscription d’un jeune à une activité sportive.

Propos recueillis par Anne-Marie

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