Korotoumou : rebâtir sa vie après un mariage forcé

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Korotoumou, jeune femme de 26 ans, m’accueille dans son studio dans le 13ème, un logement intermédiaire où elle est hébergée grâce à Tandem. Elle ne souhaite pas s’étendre sur les raisons qui l’ont poussée à fuir le Mali, mais raconte en quelques mots : « J’ai quatre petits frères. Je suis issue d’un groupe familial très nombreux, mon grand-père a eu 42 enfants. Cette famille vit sur un mode complètement traditionnel, ce qui implique les mariages forcés. Comme j’ai refusé le mariage imposé par mon père, j’ai vécu une vraie galère. Abandonnée à moi-même, j’ai dû fuir les miens pour me réfugier au Bénin. Par chance, j’ai tout de même pu revenir au Mali et obtenir un visa pour la France ». (*)

Premiers pas en France

Arrivée en France en octobre 2021, Korotoumou trouve refuge chez un frère de sa mère. Elle cherche rapidement un travail, et bien que sans-papiers, elle est embauchée par une société de ménage à domicile : « C’était très fatigant car il faut enchaîner les interventions, entrecoupées de trajets parfois longs, donc on court toujours. Par chance, au bout de cinq mois, une de mes employeuses m’a poussée à faire ma demande d’asile, car je risquais de me faire expulser ». La loi de 2018 exige qu’un demandeur d’asile commence la démarche dans les 90 jours de son arrivée en France. Passé ce délai, la demande est placée sous procédure accélérée au motif que la personne s’est maintenue sur le territoire de manière illégale.

Korotoumou fait part de ses craintes de se voir refuser l’asile, mais cette femme trouve les arguments pour la convaincre de se lancer. Un peu rassurée, elle se rend à la CIMADE, une association de solidarité active qui vient en soutien aux migrants, aux demandeurs d’asile et aux étrangers en situation irrégulière. Elle raconte : « Je suis musulmane, et j’ai pu trouver la force dans ma foi. Ces démarches me faisaient très peur, je craignais un rejet de mon dossier, et surtout d’être expulsée vers le Mali ».

A la Cimade, Korotoumou collecte le plus de renseignements possibles et dépose sa demande d’asile en juin 2022. Elle obtient rapidement un rendez-vous à l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides). A la suite de son entretien, elle reçoit dès novembre 2022 une réponse positive de l’administration française. La France va protéger Korotoumou qui obtient le statut de réfugié.

Agnès, de la CIMADE, la met en relation avec Blandine, la présidente de Tandem Réfugiés, qui lui organise un rendez-vous avec la responsable opérationnelle. Celle-ci la guide dans diverses démarches administratives et l’oriente vers des cours du soir de français. Comme elle parle déjà bien, elle réussit facilement son test de niveau à l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration).

Au Mali, Korotoumou avait atteint le niveau bac, et elle rêvait de devenir conseillère bancaire : « J’aurais pu tenter de passer le bac en candidat libre en France, mais les cours ont lieu de 20 à 23 heures, ce n’est pas évident à concilier avec un travail ou une formation ». Elle arrête son travail de femme de ménage et commence une formation de dix mois en alternance pour devenir caissière : « Ce sont des semaines de 35 heures dont 7 heures de cours, le reste du temps, je travaille dans un supermarché. C’est bien mieux que le ménage ! ».

Intégration, travail, logement : Merci à Tandem et aux associations

« Tandem m’a énormément aidée ! Grâce aux bénévoles, j’ai trouvé ma formation, j’ai rencontré de nouvelles personnes. Je participe aux pique-niques et aux cafés Tandem, et même aux ateliers théâtre avec Gaby. On m’a aussi mise en relation avec d’autres associations ».

Korotoumou adhère à TRIO, un organisme dont l’objectif est de créer un lien d’amitié durableentre un binôme de parrain-marraine et un filleul majeur : « Mathieu, qui est peintre, et son amie Nathalie m’emmènent faire des visites, des sorties dans des endroits divertissants, au restaurant. Ce sont comme mes parents en France, on se voit souvent. On m’a aussi proposé des cours de gymnastique gratuits ».

Korotoumou bénéficie d’un studio meublé loué par Tandem : « Tandem m’a donné un toit. Florence (la personne qui fait le lien avec les locataires des cinq appartements loués par Tandem) m’aide aussi beaucoup, et je l’en remercie. Grâce à Laura, l’assistante sociale, j’ai fait des demandes de logement social pour la suite : on a postulé sur de nombreux sites, on espère une réponse bientôt ». Korotoumou se débrouille avec le salaire de son alternance, et ne reçoit pas d’autre aide, à part une allocation de la CAF perçue pendant trois mois, mais qui s’est arrêtée. Elle verse 300 euros d’indemnité d’hébergement, et Tandem perçoit les APL en qualité d’intermédiaire locatif.

Côté santé, un problème de Carte Vitale n’est pas encore résolu, et Korotoumou ne bénéficie pas de la CMU, faute d’attribution d’un numéro de sécurité sociale définitif. Elle a droit à la PASS (**), un dispositif qui pallie cette carence en l’absence de couverture médicale : « On présente sa pièce d’identité, on a une carte PASS qui donne droit aux soins, examens et médicaments ». Mais certains soins sont en dehors de la liste établie : Korotoumou souffre du dos et d’élancements dans les jambes. Ses visites chez le rhumatologue qui la suit ne sont pas prises en charge, et elle espère obtenir bientôt une solution durable.

Un avenir en construction

« Je n’ai bien sûr plus de relations avec mon père, mais je reste en lien avec ma mère. Je suis allée deux fois en Belgique où j’ai de la famille ». Korotoumou a quelques amis originaires du Mali ; les personnes rencontrées dans les formations ou au travail sont plutôt des connaissances. Afrique et souvenirs d’enfance lui manquent, mais y retourner est impensable, sa famille lui a fait trop de mal. Elle rêve de connaître d’autres pays d’Europe, comme l’Allemagne, l’Angleterre, la Suisse ou l’Italie.

Elle est heureuse d’avoir bénéficié d’une formation de caissière, mais les journées de 10 heures sont bien longues quand on est assise sur des sièges souvent mal adaptés. A la fin de son apprentissage, une grande surface lui proposera un CDD ou le CDI qu’elle acceptera, car il lui faut des revenus réguliers pour avoir une chance d’obtenir un logement social.

Dans l’avenir, elle aimerait suivre des formations aux métiers d’accueil, plus adaptés à son caractère, pour trouver par exemple un emploi à la RATP ou dans une mairie. Korotoumou semble très joyeuse, et donne l’impression qu’elle trouve la vie plus légère, malgré ce qu’elle a traversé…Tous les rêves lui sont permis, elle est encore si jeune !

Propos recueillis par Anne-Marie

Novembre 2023

(*) Concernant les mariages forcés au Mali, on pourra lire cet article qui émane de la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA). http://www.cnda.fr/La-CNDA/Actualites/Communique-de-presse

(**) PASS : les Permanences d’Accès aux Soins de Santé créées en 1998 sont destinées aux personnes en situation de précarité, public vulnérable et sujet au renoncement aux soins. Situées au sein d’établissements de santé, elles sont à l’interface de l’hôpital, de la médecine de ville et des dispositifs sociaux et médico-sociaux.

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