Anna-Karina, bijoutière en liberté

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Rencontrer Anna-Karina, réfugiée vénézuélienne, c’est découvrir le parcours d’une battante, d’une femme de la cinquantaine qui a toujours su trouver une issue dans l’adversité. Ses combats – la justice, la liberté, la préservation de la nature –, sa créativité et son habileté lui ont permis, à chaque virage de sa vie souvent menacée, de se réinventer dans divers métiers.

Anna-Karina m’avait donné rendez-vous au stand LVMH à la Foire Internationale d’Art Contemporain (FIAC) en octobre. Plutôt étonnant pour une réfugiée arrivée en France en 2017 ! Avec quatre autres artisanes réfugiées, elle a participé au projet artistique Corail Artefact de Jérémy Gobé, dont le travail soutenu par LVMH est centré sur la préservation des massifs coralliens. Guidées par l’artiste, ces femmes ont restitué la beauté des coraux en dentelle, en nacre, au crochet ou en métal. Anna-Karina a pour sa part perfectionné sa technique de Fold Forming qui consiste à plier, marteler, recuire et donner forme à des plaques de cuivre, pour recréer le corail « feuille de laitue ».

S’adapter coûte que coûte

Le monde de la mer, Anna-Karina le connaît bien, car après avoir élevé seule ses deux enfants à Caracas tout en étant bijoutière, elle est partie vivre à Choroní, un village côtier touristique. Elle s’est impliquée avec des biologistes dans une fondation apolitique pour la préservation des tortues de mer et la sensibilisation de la population à l’écologie. Mais les autorités locales ont tenté de l’intimider en l’obligeant à adhérer au parti gouvernemental pour pouvoir poursuivre sa mission, ce qu’elle a refusé.

A Choroní, Anna-Karina a ouvert un restaurant, avec une salle pour exposer ses bijoux et le travail des artisans locaux. Mais les choses ont mal tourné. Son restaurant et d’autres, bien situés près de la plage, ont été fermés puis détruits pour des raisons de spéculation immobilière.

Ne baissant pas les bras, elle a acheté une carriole pour aller chercher les produits des paysans dans la montagne, cacao, thé, pains de sucre et confiseries qu’elle redescendait vendre aux touristes sur la côte. Des hommes armés de « el tren de Aragua », une organisation criminelle agissant sous couvert de « mission sociale », ont commencé à racketter et menacer les commerçants, les paysans et leurs familles. La pauvreté a gagné la région, les touristes ont déserté. Anna-Karina a arrêté ses voyages épuisants dans la montagne devenus inutiles, elle a presque tout perdu. Elle explique : « J’avais la haine mais je n’avais pas peur ».

A partir de 2014 des manifestations contre le gouvernement, nommées « la Salida », se sont multipliées au Venezuela. En 2017 Anna-Karina, fatiguée, a vendu ses bijoux et stocks de pierres pour venir quelques temps en France chez sa fille. Peu après, une amie lui a appris que sa maison de Choroní avait été entièrement tagguée d’insultes, les câbles d’alimentation électriques coupés, la pension de retraite de sa mère supprimée. Son frère a été racketté et les fenêtres de son appartement brisées par des tirs.

Tout recommencer en France

Rentrer au Venezuela étant trop risqué, Anna-Karina se résout à rester en France. Mais son visa arrivant à expiration, les démarches de demande d’asile sont devenues urgentes. L’association France Terre d’Asile lui donne des pistes pour se sortir des difficultés administratives, car elle ne parle pas encore français. En attendant, elle fait la plonge et l’épluchage dans un restaurant latino qui ne la paye pas, ou mal.

Après avoir obtenu son titre de séjour, elle rencontre l’association Tandem qui l’aide dans ses démarches. On lui indique La Fabrique Nomade, une association installée sous le Viaduc des Arts rue Daumesnil : Anna-Karina y suit pendant neuf mois une formation rémunérée dont le but est l’insertion dans le marché du travail d’artisans réfugiés.

A Caracas, après des études de droit, Anna-Karina avait suivi les cours de l’Institut de Design d’accessoires et de bijoux, et créé son propre atelier de broderie et de bijouterie. Elle maîtrise l’alambrismo, une technique de torsion de fils de métal autour de pierres semi-précieuses. La Fabrique Nomade lui permet de rencontrer des designers comme Monica Trevasinut avec qui elle crée une collection de bijoux en cuivre. Anna-Karina évoque avec émotion le vernissage de l’exposition des artisanes refugiées en 2019, où plus de 150 personnes sont venues admirer leur travail.

Se réinventer pas à pas

L’accompagnement par la Fabrique Nomade ayant pris fin, Anna-Karina désormais auto-entrepreneuse a installé un petit atelier dans la chambre qu’elle occupe au sein d’un hébergement du Secours Catholique. Dès qu’elle le peut, elle achète les outils et machines nécessaires à ses jolies créations qui marient cuivre, perles, cristal de Swarovski, tissus de Malhia Kent et broderies. Elle vient d’acquérir polissoir, laminoir et bac à ultrasons. Tout en fabriquant des bijoux, elle dessine son packaging, réfléchit à son logo, à son site internet et à l’utilisation des réseaux sociaux (Instagram : rak_bijoux.fr) pour faire connaître son travail.

La présence en France de sa fille et de ses deux petits-enfants est un réconfort. Tel un phénix Anna-Karina, pleine de courage, armée de son sourire et de ses qualités artistiques, commence une nouvelle vie, encore une fois.

Pour visiter le compte Instagram d’Anna-Karina : https://www.instagram.com/rak_bijoux.fr/

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