Rendez-vous est pris dans le 11ème arrondissement chez « Carton Plein », l’entreprise d’insertion où travaille Adel. Devant le local, il me montre l’ingénieux système d’attache de la remorque sur le cadre d’un solide vélo. Equipé de gants épais, d’un casque et d’un blouson au logo de Carton Plein, il effectue des déménagements à vélo dans Paris. Aux murs de la boutique de l’association sont accrochés plusieurs vélos et le tableau de planning. La salle de réunion, les bureaux, la cuisine et le coin atelier, tout est en matériaux de récupération recyclés. Noé le responsable de formation nous offre un café et laisse Adel me raconter son itinéraire.
De l’Erythrée à la France, un terrible parcours
Adel, 30 ans, vient d’une famille paysanne érythréenne de sept enfants. Jusqu’à ses vingt ans, il fait « tous les métiers » : maçon, électricien, travail dans des magasins, réparation de vélos.
De 2010 à 2015, il survit dans un camp de réfugiés à la frontière du Soudan. Sans s’étendre, à demi-mots, dans un français encore hésitant (sa langue d’origine est le tigrigna) il parle d’un service militaire forcé de dix mois, de fatigue extrême, de maladie, de la violence de la police et des gardes du camp. Après quarante jours de traversée de la Méditerranée, il arrive en Sicile en avril 2016. En Italie pendant des mois c’est à nouveau la vie dans les camps et l’impossibilité de travailler. Adel raconte ses tentatives pour passer en France depuis Vintimille, les arrestations par la police, et début 2017, l’arrivée à Menton, Marseille puis Paris. Il passe 45 jours à la Porte de la Chapelle, dort dans la rue, souffre du manque d’entraide, mais finit par obtenir son titre de séjour.
Tandem réfugiés et les entreprises d’insertion
Par l’intermédiaire du réseau FACE, Fondation Agir Contre l’Exclusion, Adel rencontre Tandem réfugiés en septembre 2019. Astrid, son accompagnatrice, lui propose un emploi chez « Carton Plein », une association qui se donne pour mission de construire une société sans exclusion, sans pollution, sans gaspillage. Un pôle « Dispositif 1ères heures » dans le 18ème offre des activités de recyclage et valorisation de cartons usagés à des personnes en grande précarité. Adel pour sa part a été recruté dans le Pôle « Réinsertion par l’emploi » pour 28 heures par semaine au SMIC. Ses journées se partagent entre 2 heures d’atelier et 5 heures à l’extérieur.
Noé François l’accompagne dans son apprentissage. Il explique : « Adel connaissait déjà bien le vélo. Il a travaillé quelques jours en duo puis il a été opérationnel très rapidement. Il n’a pratiquement pas eu à suivre de formation ». Adel complète : « Ici au Pôle Réinsertion, ils recrutent des personnes avec un niveau de français correct qui aiment le vélo et ne redoutent pas l’effort ».
Bicyclette et recyclage : un affaire qui roule
Adel et Noé m’initient à l’univers de la logistique urbaine à vélo : « Nous utilisons des vélos avec remorques, nous sommes d’ailleurs les seuls : les autres entreprises utilisent des vélos cargos, des triporteurs, des bi ou quadri-porteurs, voire des trottinettes cargo ». Noé gère les plannings, organise les réunions, et reste en contact avec « les cyclos » qui ont un téléphone et un GPS : en cas de problème, il leur répond et trouve une solution. Lui-même passionné de vélo, il forme son équipe à la réparation des remorques, crevaisons et attaches. Adel décrit une clientèle variée demandeuse de livraisons propres : « Nous faisons des déménagements pour des particuliers jusqu’à 400 kg. Dans les remorques, on transporte des frigos, des canapés, des objets fragiles ou des plantes. Nous avons des sangles de portage de déménageurs, nous faisons attention à faire les bons mouvements pour ne pas nous blesser. Nous livrons des caisses de repas de traiteurs pour des soirées, des cartons reconditionnés pour des entreprises ».
Noé et Adel citent encore la société « CKFD » pour laquelle ils collectent les mégots dans de nombreux sites : dépollués, les filtres en acétate de cellulose sont fondus en plastique avec lequel seront fabriqués des objets de bureau ou du mobilier urbain. Pour « Les Alchimistes », Carton Plein récolte des bio-déchets dans les restaurants, écoles, hôpitaux et chez des fleuristes. Adel explique : « Ces déchets alimentaires sont transformés en compost qui est utilisé par les particuliers ou pour l’agriculture urbaine, par les agriculteurs bio ou pour végétaliser la ville ».
Formation, travail, langue : progresser jour après jour
Adel est en CDDI (CDD d’insertion) de 4 mois, renouvelable dans la limite de 24 mois. Pour la suite, tout est envisageable : par exemple une formation de trois mois au métier de cyclo-logisticien chez Carton Plein, financée par Pôle Emploi, qui consiste en l’apprentissage des techniques liées à la sécurité, la mécanique, la gestion des tournées, le savoir-être en entreprise. D’autres voies sont possibles : une formation dans un autre organisme, un travail dans une entreprise classique en rapport avec le vélo, passer le permis de conduire, monter un projet.
Après avoir vécu dans des chambres à huit ou dix personnes obtenues par le 115, puis dans un studio partagé à plusieurs, Adel, visiblement soulagé, a trouvé chez des amis « une chambre à lui » en banlieue pour un loyer modeste.
Chez Tandem réfugiés, Astrid l’accompagne dans ses démarches au Tribunal administratif pour trouver un logement plus stable, Dominique est son répétiteur de français. Adel ne manque aucune des parties de foot qui rassemblent réfugiés et bénévoles à la Villette.
Pour finir Adel me montre son arme secrète sur son téléphone : une chaine YouTube qui lui permet de progresser dans l’expression orale un peu tous les jours : « Français avec Pierre » (https://www.francaisavecpierre.com), qui donne plein de conseils et astuces pour parler avec fluidité, éviter les pièges et apprendre les expressions indispensables. Pierre affirme que sa méthode, en plus d’être drôle, est « 100% efficace ».
Promis Adel, je vérifierai tes progrès au prochain Café Tandem !
Propos recueillis par Anne-Marie en février 2020