Des leçons de français par téléphone, une histoire de confinement

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Pour tous, la période de confinement a été un bouleversement.

A Tandem, les accompagnateurs ont rapidement vu de nombreux réfugiés se retrouver, du jour au lendemain, sans activité, isolés dans des foyers d’hébergement ou de petits logements. Pourquoi ne pas faire, par téléphone, de l’alphabétisation ou du soutien à la lecture ? Une belle occasion de garder un lien rapproché avec ceux qui en ont besoin !

C’est ainsi que je suis entrée en contact avec Hamed, un Turkmène de 33 ans. Nous avons convenu d’un rendez-vous quotidien. Si une ou deux séances autour d’une BD pour les enfants n’ont pas suscité l’enthousiasme d’Hamed, elles nous ont permis de faire le point sur son niveau de français. Si Hamed s’y connaît en langues (il parle le turkmène, l’ouzbek, le dari, l’ourdou, le turc et l’anglais), son français est alors très basique. Avec un bac Afghan comme bagage, Hamed a travaillé comme traducteur à la base aérienne de Bagram pour des compagnies américaines et turques à partir de 2009. Menacé de mort par les Talibans, il a dû fuir son pays. Il espérait pouvoir aller vivre en Norvège car il avait entendu dire que ce pays était très accueillant. Depuis sa province de Jawzjan, Hamed fuit vers l’Iran, puis vers la Turquie, en voiture, ou à pied pour passer certaines frontières clandestinement. Puis il rejoint la Grèce sur un bateau de cinquante personnes. Il traverse la Macédoine, la Serbie, la Hongrie, l’Allemagne, la Suède et enfin la Norvège où il reste dix mois. Finalement sa demande d’asile sera rejetée. Il regagne la Suède, puis l’Allemagne, et en 2016 il arrive à Paris en train.

Après de longues périodes dans la rue, Hamed est aidé par l’association Aurore, puis par Coallia, et enfin par Tandem. Il loue avec des mots simples le dévouement des bénévoles : « Ils m’aident vraiment beaucoup ». A Tandem, Sophie, lui donne aussi deux heures de cours les samedis pendant des mois. Mais Hamed trouve du travail comme électricien sur des chantiers. Il se retrouve alors au contact d’employés non francophones : il parle anglais, a moins de temps pour les cours et finalement perd pas mal de ses acquis en français. Quand a commencé le confinement, Hamed est à nouveau sans emploi. Pierre, son accompagnateur, lui avait proposé une formation au codage. Celle-ci nécessitait un niveau A2 en français. Il y avait donc des progrès à faire avant de pouvoir passer les tests.

C’est alors qu’ont débuté nos séances. Par chance Hamed venait d’avoir un ordinateur et nous avons commencé avec un Lucky Luke, « Un cow-boy à Paris » en PDF en accès libre sur internet. Nous voilà découvrant la lutte acharnée entre le sculpteur Auguste Bartholdi et M. Locker, le sinistre directeur de pénitencier. L’objet de leur combat : Liberty Island en face de Manhattan, Locker pour y construire la prison dont il est impossible de s’évader, Bartholdi pour y installer sa Statue de la Liberté.

Au début, une ou deux pages remplissaient largement notre créneau d’une heure. Il fallait tout améliorer en lecture : la prononciation, les lettres qu’on dit et celles qui sont muettes, les liaisons… Chaque mot faisait l’objet d’explications de ma part. J’évitais d’utiliser l’anglais, ce qui aurait été contre-productif. Hamed était attentif, il étudiait les liens internet de leçons de Français Langues Etrangère (FLE) ou d’instituteurs de primaire (tous incroyablement bien faits) envoyés chaque jour avec les notes à revoir. L’ambiance n’était pas à la rigolade, Hamed avait besoin de se concentrer pour comprendre nos leçons.

Progressivement son intérêt pour l’histoire, les personnages et les situations s’est développé, et je l’ai « entendu sourire ». Il a fait la connaissance des Dalton et de leur bêtise, découvert les messages de fumée des indiens, pourquoi on plonge les tricheurs dans le goudron et les plumes, la vie dans les saloons, ce que peut bien vouloir dire « tirer plus vite que son ombre ». Il a écouté des chansons, du « Pénitencier » à « La Reine des Neiges ». Au vu des scènes de rodéo, Hamed a évoqué le bouzkachi, sport national en Afghanistan. Ses questions et mes explications devenaient de plus en plus pointues, surtout quand Lucky Luke arrive à Paris : on croise alors Victor Hugo, Gustave Eiffel, Verlaine et Rimbaud, Charles et Emma Bovary, Gavroche. Il a bien fallu resituer tout ce petit monde ! Au fil du temps, nous sommes passés à la lecture de 3-4 pages, puis de 7-8 pages par séance, entrecoupées des fous rires d’Hamed (une fois expliquées les références) et des miens. Un vrai cadeau dans cette triste période !

Nous avons poursuivi nos lectures avec « Astérix et Cléopâtre », et tout a été de plus en plus facile. Hamed comprenait les subtilités, le second degré, le dessin d’Uderzo collant si bien aux gags avec lesquels nous, français, avons été biberonnés. Si j’ai dû expliquer les « gimmicks » – le barde qui chante faux, le village gaulois encerclé par les camps romains, la potion magique, Obélix, tombé dedans petit, le banquet final, les pirates qui coulent leur navire immanquablement, les noms en IX et en UM etc…, c’est Hamed qui, cette fois, se trouvait en terrain connu : le Moyen-Orient. La façon dont sont traités les ouvriers qui construisent le palais de Cléopâtre nous a permis de discuter chantiers, travail, patrons, voire esclavage. Les dieux égyptiens et romains nous ont amenés à parler des religions, les monothéistes et les autres. Durant cette période, a commencé le ramadan, si diffèrent des précédents, sans les prières communes et les rassemblements festifs. Mais rien qui n’ait empêché de poursuivre nos leçons.

Pendant nos conversations, j’avoue n’avoir pas beaucoup insisté sur les conjugaisons. Pourtant, au fil des jours, Hamed a fait des phrases plus construites, se corrigeant lui-même quand je laissais « un blanc ». Il complétait nos séances en trouvant sur internet un dessin animé ou des articles sur les crues du Nil, la construction des pyramides, les labyrinthes, l’archéologie, l’architecture des temples, la découverte des hiéroglyphes etc…

Finalement, Hamed n’a pas commencé sa formation de codage car il voulait retravailler dès que possible, ayant survécu avec trop peu d’argent pendant le confinement. Il a signé pour un CDD chez un ascensoriste, et parle français maintenant tous les jours sur les chantiers. Nous n’avons pas pu terminer notre voyage en Egypte, et on ne s’est toujours pas rencontrés ! Mais je suis sûre qu’à l’occasion d’un prochain Café Tandem, je serai heureuse de constater qu’Hamed, polyglotte et tellement curieux, aura encore progressé en français.

Anne-Marie

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