Alejandro : avancer, malgré tout

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Nous l’appellerons Alejandro*. Il vient de Medellín où vivent toujours ses frères et sœurs, ses parents et son fils. Après des études de commerce, il a monté une affaire de vente de chaussures par internet. Repéré par la mafia colombienne, il a fait l’objet d’extorsion de fonds, a été menacé de mort et gravement blessé à la jambe. Alejandro n’a eu que le choix de fuir son pays.

Les premiers temps en France sont difficiles : « Je ne parlais pas un mot de français, mais la France est pour moi le pays des droits humains. J’ai survécu grâce aux Restos du Cœur, et passé deux mois dans la rue avant d’obtenir une chambre dans un centre d’accueil de migrants, à Porcheville (78) ». Les longs trajets jusqu’à Paris, avec son genou cassé, sans béquilles ni attelles, particulièrement pendant la grève des transports de décembre 2019, restent un souvenir terrible. Par chance, il rencontre Fernando, qui lui indique comment contacter l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration). Une phrase prononcée par une assistante sociale à cette époque reste gravée à jamais : « Si vous voulez continuer de vivre ici, vous êtes obligé de bien maîtriser la langue française ». Depuis, Alejandro n’a cessé d’apprendre, et même d’éviter la communauté colombienne pour ne pas être tenté de trop parler espagnol.

Il est ensuite logé par Coallia à Achères-Grand-Cormier (78), dans un foyer isolé dans la forêt, au milieu d’un dépôt ferroviaire. On y arrive par une route peu éclairée aux abords jonchés de débris, et par un passage souterrain souvent inondé. Le risque de se faire percuter par les voitures est réel. Autant dire que les trajets sont un enfer.

En 2020, Alejandro obtient la protection subsidiaire, ce qui lui permet de percevoir le RSA. Muni de sa carte CMU (Complémentaire santé solidaire) et après quelques recherches infructueuses, il trouve un chirurgien orthopédique espagnol qui accepte de l’opérer rapidement : « L’opération a moyennement réussi, mais le chirurgien ne veut pas me revoir. J’ai fait une quarantaine de séances de kiné, mais je souffre toujours, il faudra que je sois opéré à nouveau ».

Tandem m’a tellement donné

Peu avant l’opération, l’aide sociale lui donne l’adresse de la CIMADE**, où il rencontre une personne qui le met en contact avec Blandine. Depuis son départ de Colombie, Alejandro est en lien avec sa famille par WhatsApp, mais il vit mal leur absence, et le contact physique lui manque cruellement : « J’avais la tête à l’envers quand j’ai rencontré Blandine, j’étais inquiet pour ma santé, stressé pour la langue. Mes pensées étaient très sombres, je me répétais : c’est impossible de sortir de ma situation et de continuer cette vie, je vais abandonner».

Tandem lui a donné un colis alimentaire pour qu’il puisse se nourrir après l’opération, et Marie-Odile, son accompagnatrice, l’a soutenu : « A ma sortie de l’hôpital, elle m’a ramené au foyer d’Achères. Quand elle a découvert l’endroit où j’habitais, elle a dit : tu ne peux plus vivre ici, c’est la mort, c’est la fin du monde ».

Marie-Odile l’a accompagné lorsqu’il est allé récupérer son titre de séjour. Elle a aussi créé son profil sur Ami-services, ce qui lui a permis de trouver rapidement un premier travail en intérim, la gestion des poubelles dans une résidence, trois jours par semaine. Puis elle l’a aidé à candidater pour d’autres emplois, et d’autres missions ont suivi, comme le ménage dans une école. Grâce à Ami-services, Alejandro a signé un contrat en CDD à plein temps avec la Ville de Houilles, où il travaille en restauration collective dans une école primaire. Les journées sont longues, il rentre chez lui après 21 heures.

Pendant sa convalescence, c’est Anne, de Tandem, qui l’a fait progresser en français : « Je lui suis très reconnaissant. Elle m’a envoyé deux livres pour les devoirs. On communiquait par WhatsApp. J’écrivais à la main, elle corrigeait et je devais recommencer jusqu’à trois ou quatre fois, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’erreur. Pendant sept mois, on s’est parlé deux fois par semaine au téléphone. Madeleine a été là aussi pour moi, et j’ai atteint le niveau B2 ».

Pour le logement, Tandem a contacté l’association Sainte Geneviève qui loge temporairement des personnes en difficulté en attente d’un logement social. Alejandro vit désormais à Paris dans le 19ème arrondissement, dans un immeuble heureusement avec ascenseur.

Soigner mon genou et réaliser quelques rêves

« Je veux voir le bon côté des choses : ma famille va bien, ma vie est plus établie, ça s’arrange petit à petit. Mon fils de 21 ans vit avec sa mère. J’aurais aimé le faire venir en France, mais comme il est majeur, ça n’a pas été possible. Il étudie à l’université de pharmacie, en vue de travailler dans les hôpitaux ».

Alejandro énumère ses objectifs et ses rêves : avoir un appartement à lui grâce au DALO (Droit Au Logement Opposable), obtenir le renouvellement de son CDD, commencer l’apprentissage de l’anglais…et enfin voir la mer qu’il ne connaît pas, lui qui vient de si loin.

Il veut encore perfectionner son français, vocabulaire et prononciation. Pour cela, il prend des romans dans les boîtes à livres, approfondit les expressions qu’il comprend mal pour « entraîner son cerveau », écoute la radio, suit des cours de français les samedis matin, et communique beaucoup avec ses collègues français.

Après des années difficiles, Alejandro veut repartir sur de nouvelles bases : « Je vais revoir un chirurgien pour trouver une solution pour mon genou. Et puis j’avais arrêté brutalement les leçons avec Anne, trop stressé par ma vie. Je viens de lui écrire une lettre pour lui demander de bien vouloir m’excuser : elle est d’accord pour qu’on reprenne nos conversations deux fois par semaine ».

Il faut bien se préparer pour l’objectif qui fait briller ses yeux, la demande de naturalisation qu’il fera en 2024.

Témoignage recueilli par Anne-Marie

* le prénom a été changé

** CIMADE : association loi de 1901 de solidarité active et de soutien politique aux migrants, aux réfugiés et aux déplacés, aux demandeurs d’asile et aux étrangers en situation irrégulière

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