Dans un quartier de l’Haÿ-les-Roses – petits immeubles, parcs arborés, chantier de gymnase et de cité scolaire en cours – je retrouve Samara et ses deux fils, Hamza 9 ans et Obayda 10 ans.
Originaires de Soueïda en Syrie, Samara et son mari s’installent au Qatar en 2009 avec leurs garçons. Samara est institutrice dans une école syrienne, les enfants fréquentent une académie américaine.
La vie de Samara bascule lorsque son mari meurt subitement en 2015 pendant un séjour en Syrie, alors qu’il venait d’apprendre qu’il devait être incorporé dans l’armée.
Samara repart au Qatar après les obsèques. Mais dans ce pays, le mari est seul responsable et garant pour une femme d’origine étrangère. Sans mari, Samara ne peut plus ni travailler, ni rester seule avec ses enfants. On lui donne un mois pour se décider : revenir dans son pays en guerre, ou retrouver une partie de sa famille en France. Elle se réfugie à l’ambassade, fait une demande d’asile et rejoint la France.
Associations, apprentissage du français, travail : les clés pour s’intégrer
Ce qui frappe chez Samara, c’est son sens de l‘accueil, sa joie de vivre et celle de ses enfants, et aussi l’absence du moindre objet superflu dans leur modeste appartement. On sent tout de suite que leurs priorités sont ailleurs.
Elle raconte : « Quand je suis arrivée en France le 1er novembre 2015, mon beau-frère m’a prêté une petite chambre dans son appartement. J’y ai vécu pendant neuf mois avec mes enfants. Tout de suite, sans même connaître un mot de français, j’ai travaillé dans un restaurant syrien à Strasbourg-Saint-Denis. J’ignorais absolument tout des associations et des aides possibles ».
Pendant ce temps, ses garçons vont à l’école et apprennent le français. Samara travaillant tard, ils restent à la garderie du soir : en quelques mois, ils maîtrisent parfaitement la langue, eux qui parlaient auparavant arabe et anglais.
Comme ça ne se passe plus très bien dans son travail, Samara le quitte pour suivre une formation de français pendant trois mois au sein de l’organisme de formation « Free Compétences » à Villejuif. Elle y reçoit une aide à l’orientation, découvre ses droits et devoirs ainsi que la législation française. Samara apprend la cuisine.
Avec ses économies, elle peut louer un logement à un membre de sa famille.
Grâce à Joumana (mère de Sara et d’Ahmed dont les interviews sont publiés dans de précédentes newsletters), Samara découvre Tandem et rencontre Michèle, son accompagnatrice qui l’aide à entrer chez Cojean.
Elle devient préparatrice polyvalente et est progressivement chargée de préparer les plats chauds pour cinq de leurs restaurants, prenant ainsi les responsabilités d’un chef… mais payée au SMIC.
Le loyer est cher. Samara demande une promotion, qui lui est refusée.
Toutefois son poste est adapté. Elle prépare maintenant des sandwiches « à une allure de folie ». La fatigue est là, les problèmes de jambes, les brûlures, le stress. Samara envisage une autre formation, pour apprendre un nouveau métier… mais elle sait que la période est difficile et ne veut pas prendre ce risque pour l’instant.
Hamza (CM1) et Obayda (CM2) : « L’école, on adore ! »
Ils sont réactifs, polis, enthousiastes, drôles. Je leur demande comment s’est passé le premier confinement : « Très bien ! Maman allait chercher les leçons. On avait l’école en visio. Les journées se répartissaient entre les cours, le sport et les devoirs ». Ils m’assurent qu’ils ont même fait de vrais progrès.
Pas d’ordinateur chez Samara, seulement des téléphones : le prêt d’une tablette par une association a heureusement facilité les choses.
Samara a l’âme et les compétences d’une éducatrice. Elle a gardé son mercredi libre pour pouvoir s’occuper de ses fils.
Elle connaît les enseignantes de ses enfants, les trouve excellentes et très organisées. Elle ajoute : « La période actuelle permet de développer la notion de respect, pour protéger les autres. L’école leur apprend aussi à décrypter l’information et l’image, à aiguiser leur esprit critique, à se forger une opinion ».
Samara a été très choquée par les attentats de l’automne dernier. Elle pense que les musulmans radicaux et l’expression liberticide de leur religion n’ont pas leur place en France. Elle est pour la liberté d’expression, valeur de la France, pour le dialogue et l’échange.
Pour les garçons, les périodes de confinement ont été dures à vivre, car ils sont avides de continuer à découvrir la France.
Hamza apporte la mappemonde. J’apprends avec étonnement qu’ils sont déjà allés à Toulouse, Rouen, Saint-Etienne, Marseille, Saint-Malo, au Mont-Saint-Michel, à l’Abbaye des Vaux de Cernay, à Etretat… qu’ils savent situer sans problème.
Ils adorent les musées et les châteaux, et trouvent la France magnifique. Ils saisissent toutes les occasions de découvertes : avec les associations, avec la Ville, en rejoignant les oncles, tantes et cousins, là-bas et ailleurs.
… et bien sûr avec Tandem, qui leur a offert des vacances en Vendée et la découverte du Puy du Fou. Obayda raconte : « C’était génial, nos meilleures vacances, on s’est fait beaucoup d’amis, on a nagé et même pêché ! »
Samara confirme que Tandem est pour elle et ses enfants comme une famille. Ils participent le plus possible aux cafés, pique-niques, parties de foot à la Villette, spectacles, et visites comme au Centre Pompidou, à Versailles, au Louvre. Avec leur marraine Laetitia, ils ont pu vivre de vraies fêtes de Noël.
Samara aimerait trouver un appartement moins cher, si possible dans la même ville où l’entraide n’est pas un vain mot : « Nous nous sommes fait beaucoup d’amis. La ville est agréable et nous participons au maximum aux activités qu’elle propose ».
Des rêves de cascadeurs plein la tête
Les garçons sont restés jusqu’au bout de la rencontre. Je leur demande quels sont leurs rêves.
Obayda fait de l’équitation, un sport qui coûte cher, mais la solidarité a joué. Des voisins, des amis lui ont donné un équipement. Il aimerait passer son Galop 1, intégrer une académie équestre : « Je rêve de devenir acteur et cascadeur avec des chevaux » (la passion est née au Puy du Fou).
Hamza lui, connaît tout des voitures. Il rêverait d’acheter des voitures anciennes et de les restaurer, ou de devenir acteur-cascadeur avec des voitures. Pour l’instant il fait du rugby.
Samara fixe les règles : « Pas ou peu d’écran, d’autres choses sont bien plus importantes ». Elle partage la passion de ses enfants pour la musique, la guitare, le piano, le ukulélé.
Obayda chante et danse très bien. Il raconte : « Hamza et moi, on n’aime pas trop les musiques arabes que le reste de la famille écoute beaucoup. Avec maman, on regarde The Voice, on adore ! ».
Samara participe bénévolement à plusieurs associations d’entraide, « Revivre » et « Souria Houriah ». Elle reste en lien avec sa famille de Syrie par téléphone et WhatsApp, mais n’a pas revu ses parents depuis son départ du Qatar.
Il y a deux ans, elle a demandé la nationalité française et a passé un entretien, et même si la réponse tarde un peu, elle reste confiante : « La France m’a déjà beaucoup donné ! L’avenir et la sécurité de mes garçons sont ma priorité : je sais que ce pays va leur offrir tous les atouts pour se construire une belle vie ».
Propos recueillis par Anne-Marie