D’un village mauritanien au monde de la banque

  • Auteur/autrice de la publication :

Awa (1), la trentaine, et sa fille Aicha (1), 10 ans, me reçoivent chez elles. L’appartement est à l’évidence aménagé pour l’accueil : un lit pour les amies d’Aicha, des canapés pour se réunir, un matelas en plus pour qui en aura besoin, une grande cuisinière. Awa me raconte ses combats pour fuir un mariage forcé, éviter l’excision à sa fille, obtenir la protection de la France, survivre pendant toutes ces années avec le minimum. Elle évoque la précarité éprouvante quand on est mère, la solidarité entre les femmes réfugiées, et ce qu’elle doit aux bénévoles des associations.

Le mariage forcé, une tradition très ancrée

Mauritanienne, Awa appartient à l’ethnie peule, un peuple fier attaché à ses traditions. Ses deux grands-pères ont fait la guerre en France : l’un y a perdu un pied, l’autre une jambe. Enfant, elle écoutait leurs récits avec avidité. L’année de son bac, à dix-sept ans, son père la force à épouser un homme de soixante ans, déjà marié plusieurs fois, père de nombreux enfants, et violent. Deux autres sœurs subiront le même sort, comme plusieurs de leurs cousines qui vivent en France. Naïvement je demande : « Pourquoi offre-t-on sa fille si jeune à un homme âgé ? ». On donne sa fille à un imam, à un notable connu, un cousin bien placé. C’est illégal, mais c’est la coutume. Dès qu’une jeune fille a ses règles, on peut la donner.

Awa tentera de nombreuses fois de revenir chez ses parents, espérant qu’ils comprennent ses souffrances. Ses grands-mères disaient : « Tu t’adapteras quand tu auras des enfants ». A dix-neuf ans, elle donne naissance à Aicha.

Ne voyant pas d’autre issue, elle pense à la France qu’elle a découverte lors de festivals culturels dans sa ville. Elle organise sa fuite mais le voyage étant trop risqué, elle confie sa fille à une amie. Awa traverse le Maroc en car, débarque à Marseille et rejoint Paris fin 2011. Elle n’y connaît personne.

Faire venir son enfant : un combat difficile

Awa est accueillie en province par la Croix Rouge et l’Armée du Salut. Un agent de sécurité mauritanien l’invite à partager le riz-poisson avec des étudiants avec qui l’entraide s’organise. Elle est logée grâce à un dispositif public destiné aux demandeurs d’asile, le CADA (2). Pendant deux ans, elle survit grâce à l’ADA (3) : « Les produits d’hygiène et les protections périodiques coûtaient cher, il ne me restait presque rien pour me nourrir ». En 2013, Awa vient à Paris pour un nouvel entretien à l’OFPRA (4) : son dossier est rejeté plusieurs fois « pour motif insuffisant ».

L’inquiétude d’Awa pour son enfant grandit. Avec l’aide d’une amie, la petite change souvent de famille d’accueil, car son père a lancé un avis de recherche. Awa craint qu’elle ne subisse des violences ou une excision. La sortie des enfants de Mauritanie est très contrôlée, et ni le père ni la mère ne peuvent évidemment fournir les autorisations parentales requises. Pour réunir l’argent nécessaire, Awa cumule les emplois, dans un restaurant et dans un salon de coiffure africaine. Elle ne dort plus, ne mange presque pas. Enfin, Aicha finit par rejoindre sa maman.

Survivre entre aides et petits boulots

Awa et Aicha vivent pendant trois ans dans un hôtel du 115, ce qui leur permet d’avoir une adresse et une pièce fermée à clé, mais pas de cuisiner. La petite qui n’avait connu que les grands espaces souffre de problèmes respiratoires et « n’aime que l’école ». De fait elle ne se plaît pas avec sa maman.

Awa explique : « J’étais toujours sans titre de séjour. Mes dépenses (loyer, nourrice) n’étaient pas couvertes par mes rentrées. Après mon travail, j’allais aux Restos du Cœur ou au Secours Catholique. J’achetais de vieux vêtements à Belleville ou à Montreuil. Je paye encore aujourd’hui des dettes de cantine de cette époque.

Un jour, une assistante sociale me parle de la CIMADE, où je rencontre Blandine : l’engrenage positif a enfin commencé ». Blandine l’aide à refaire son dossier pour l’OFPRA (4) indépendamment de celui de sa fille, et l’accompagne à son entretien. Les deux dossiers sont finalement acceptés. La protection lui est donnée par la France.

Awa parle six langues : arabe littéraire, peul, wolof, soninké, hassanya et français. Elle trouve des missions d’accueil dans les gares d’Ile de France, devient enquêtrice BVA pour la RATP. Un ami traducteur dans les commissariats et les tribunaux lui propose de le remplacer de temps en temps. Awa ne regrette pas ces jobs qui ont participé à son intégration : « J’ai pu développer mon goût pour la relation clientèle en rencontrant des gens de tous horizons et toutes nationalités. Non seulement j’oubliais un peu mes malheurs, mais cela m’a aussi permis de trouver ma vocation ».

Awa sait maintenant ce qu’elle veut, et aussi ce qu’elle ne veut pas. La banque et la comptabilité l’intéressent : « J’aime les chiffres, j’ai refusé des formations de boulangerie et de restauration, ainsi qu’une place en foyer dans un autre quartier, car changer d’école aurait perturbé Aicha ».

Elle signe un contrat CUI (Contrat Unique d’Insertion) d’un an comme agent administratif dans un lycée, puis prend un poste de surveillante des écoles. Munie de ses bulletins de salaire, après moult difficultés (on lui demandait l’avis d’imposition de son mari !) et grâce à la persévérance de son accompagnatrice Marie-Astrid, elle obtient il y a deux ans un logement social. « Brigitte, bénévole à Tandem également m’a aidée à me meubler quand j’ai eu les clés de chez moi ».

Femmes refugiées : des problèmes spécifiques

Awa explique : « Le problème des hôtels, c’est que les femmes en changent souvent, parfois tous les mois, sur un simple appel du 115. Les mères s’entraident en accompagnant les enfants pour leur éviter de changer à chaque fois d’école. Levés à 6 heures, les enfants se fatiguent et ne peuvent plus suivre correctement leur scolarité ». Awa a soutenu sa fille avec l’aide de bénévoles de Tandem : bonne élève, elle aime la lecture, l’histoire, la poésie, et voudrait faire médecine. Pendant deux ans, Awa ne signale pas sa nouvelle adresse pour qu’Aicha puisse rester dans la même école.

Lors d’une consultation à l’hôpital, Awa rencontre le directeur du GAMS (5) qui lui conseille de déposer une main courante contre son mari à la brigade des mineurs, à titre préventif. Grâce à une avocate de Tandem, la procédure de divorce a enfin abouti en 2020. Forte de son expérience, Awa ne ménage pas son aide aux femmes réfugiées qu’elle rencontre : elle en a accompagné une quinzaine en préfecture, parfois en prenant des jours de congé sans solde.

Des formations pour devenir « soi-même »

Awa m’explique le ressenti des réfugiés : « On arrive avec des problèmes plein la tête. Occupés par les soucis administratifs, on tente d’enfouir une partie de notre passé. On devient quelqu’un d’autre, mais c’est mauvais de se sentir partagé en deux personnes ».

Elle vient de commencer une alternance comme Conseillère clientèle dans une agence bancaire grâce au programme Each One. Celui-ci a été créé à partir du constat que seule la moitié des réfugiés qui avaient un emploi dans leur pays d’origine occupent un poste en France. Et un tiers de ceux qui travaillent ont un sentiment de déclassement professionnel. Les coaches d’Each One aident les réfugiés à trouver un emploi à la hauteur de leurs aptitudes. Ils mettent en avant les soft skills, comme l’intelligence relationnelle ou l’esprit d’équipe, toutes qualités qu’Awa a eu l’occasion de développer avec ses petits boulots : « Cette formation m’a redonné la force de faire face. Je sais qui je suis sans oublier d’où je viens ni qui j’étais ».

Merci Tandem, merci Each One !

Awa ajoute : « Il faut soutenir les associations car leur rôle est essentiel. Seul, un demandeur d’asile même francophone ne peut pas faire aboutir ses démarches. Ensuite, quand on a ses papiers, on s’intègre par le travail et le logement, mais on ne peut pas enterrer la douleur. Il ne faut pas laisser les réfugiés isolés dans leur coin : se retrouver au café, partager des activités, cela permet de s’épanouir et de lutter contre l’islam radical et le communautarisme. Des liens se créent entre réfugiés, se renforcent entre bénévoles et réfugiés. Tandem est une grande famille d’entraide et d’amitié ».

Awa termine en dévoilant son rêve : quand elle aura obtenu la nationalité française, elle souhaite pouvoir aider les femmes d’Afrique à lutter contre le mariage forcé.

Témoignage recueilli par Anne-Marie

(1) Les prénoms ont été changés

(2) CADA : Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile

(3) ADA : Allocation pour Demandeur d’Asile

(4) OFPRA : Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides

(5) GAMS : Groupe pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles Féminines et des Mariages Forcés

Laisser un commentaire


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.