Eva, une jeune Syrienne qui bâtit sa vie

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Je retrouve Eva que j’avais rencontrée avec son père Radwan en 2018. Alors lycéenne de 18 ans, elle l’accompagnait pour faciliter nos échanges, car il ne parlait pas français (lien de l’article : https://www.tandem-refugies.org/2018/11/15/itineraire-dune-famille-syrienne/).

En 2014, le périple de Radwan, malade du cœur, entre la Syrie et la France avait été long et semé d’étapes périlleuses. La France lui avait accordé le statut de protection subsidiaire (*). Sa femme et ses trois enfants l’avaient rejoint en 2016. Tandem les a aidés à plusieurs titres : recherche de logement, constitution des dossiers pour la santé, l’école et les bourses, soutien scolaire, moral et financier.

Tandem accompagne les personnes réfugiées adultes pendant deux ans, mais prolonge cette aide pour les jeunes jusqu’à ce qu’ils soient autonomes. Nous verrons que les liens d’Eva avec notre association perdurent aussi car l’amitié s’en est mêlée.

Cinq années bien remplies

Eva a maintenant 23 ans. Elle a tout de suite accepté ma proposition de la rencontrer à nouveau, pour me raconter les années qui viennent de s’écouler. Elle parle d’abord de sa famille. Son père, très fatigué, est toujours sur la liste des bénéficiaires de greffe du cœur. Son traitement lui permet de vivre à son petit rythme, mais à 62 ans, cet ancien ingénieur agronome, invalide à 80%, n’a jamais pu retravailler. Sa mère Maha a fait des progrès en français, confectionne toujours de délicieux gâteaux et fait des ménages. Sa sœur Aya est en 1ère année de licence économie et gestion. Son frère Tareq, en licence d’économie, cherche un master et un travail dans le marketing, car il n’a plus de bourse.

Et Eva ? On peut dire qu’elle met beaucoup d’énergie à se construire une vie qui lui convienne. Elle a obtenu un bac scientifique avec mention « assez bien » en 2020, année de confinement, alors qu’elle ne parlait pas français trois ans auparavant. Toute la famille était alors réunie dans l’appartement de Montgeron. Les craintes vis-à-vis du COVID étaient fortes concernant leur père cardiaque. Eva, Aya et Tareq se sont reconnus « meilleurs amis du monde », poursuivant leurs études à distance et regardant des films ensemble. « Mais à la fin, on n’en pouvait plus, car on aime chacun notre liberté », précise Eva.

Son bac en poche, elle fait une année de PACES (**) car elle rêvait de faire des études de pharmacie, mais elle n’obtient pas ce choix. Faute d’idée de remplacement, elle s’inscrit en BUT de chimie (Bachelor Universitaire de Technologie en 3 ans), suit un semestre, mais n’accroche pas. Elle se réoriente en biologie en cours d’année, mais elle doit rattraper le 1er semestre tout en suivant les cours du 2ème semestre, un vrai challenge ! Elle travaille beaucoup, envoie des mails à ses professeurs pour demander de l’aide sur les sujets qui lui résistent ou les cours trop rapides, et réussit à passer en 2ème année de licence pour devenir technicienne de laboratoire.

Etudiante et salariée

En parallèle de ses études, elle travaille chez « Histoire d’or » à Belle Epine et chez « Promod » à Val de Fontenay. Elle explique : « J’ai refusé de travailler le dimanche, jour où je me repose et fais mes courses. J’aime la mode et le commerce, et travailler dans ces boutiques me change de mes études. Je fais des rencontres, j’acquiers de l’expérience, mes collègues, pour la plupart des étudiantes, sont devenues mes amies ».

Son budget est serré, mais elle est autonome, a pu s’acheter un ordinateur et subvient à ses besoins matériels.

Le travail, les études et son budget laissent peu de place pour les loisirs. Le reste de la famille et la majorité de ses amies de Syrie ont fui en Turquie et en Europe. La guerre a cessé dans sa région, mais la vie y est très compliquée et chère, on manque de nourriture, de médicaments, il n’y a pas d’électricité, de gaz. La Turquie reste le pays où elle pourrait retrouver des proches. Mais pour elle et les siens, les visas touristiques restent difficiles à obtenir. Son père devait retrouver sa propre sœur à Dubaï, a acheté son billet d’avion mais n’a finalement pas eu son visa.

Des mains tendues et des amitiés fortes

Eva a de la gratitude pour ses professeurs de lycée qui lui ont transmis de solides méthodes de travail. Elle trouve sur YouTube et Google d’excellents cours pour approfondir certaines matières.

Par l’intermédiaire de Tandem, la famille d’Eva avait rencontré Michel, un bénévole de « Solidarités Nouvelles pour le Logement » qui les a aidés à trouver un logement, normalement temporaire. Mais jusqu’à ce jour, leurs demandes de logement HLM n’ont pas abouti.

Surtout, Eva tient à remercier « encore et encore » Catherine, de Tandem : « Elle a toujours été à mes côtés, à chaque étape. Je peux parler de tout avec elle, même quand je n’ai pas de problème particulier. Catherine reste, après mes parents, celle avec qui je partage les bonnes nouvelles, c’est comme ma deuxième mère. A mon arrivée en France, je faisais toutes les démarches pour ma famille. Les documents administratifs étaient difficiles à remplir, mes parents ne pouvaient pas m’aider et c’était très lourd et fatigant psychologiquement. Heureusement, Catherine m’épaulait. Elle trouve les meilleures solutions pour nous, encore maintenant, par amitié ».

Toujours avec son aide, Eva a refait son CV, car elle doit effectuer un stage en rapport avec son projet professionnel. Elle espère être prise dans le laboratoire où son père fait ses analyses médicales.

Merci à la France qui m’aide à construire ma vie

Le permis de séjour d’Eva court jusqu’en 2024, date à laquelle il devrait être renouvelé pour 10 ans. Eva insiste sur ce que la France lui a apporté : « Pour les Syriens qui ont dû fuir, la France et la Grande-Bretagne sont les premières destinations choisies. La France est un pays qui ouvre les portes et donne des chances ». Eva le dit, elle est attachée à la France et souhaite devenir Française dès que possible.

La vie d’une étudiante qui travaille n’est pas très facile, mais Eva ne se plaint pas : « Au fur et à mesure, tout devient moins compliqué. En arrivant ici, je n’avais que quelques notions de grammaire française apprises en primaire. Maintenant j’ai mon bac, je suis très sociable, j’ai un projet professionnel, et mon diplôme me permettra de gagner ma vie, me donnera la vie ! ». Sa priorité reste les études : elle envisage de passer un master, même à distance.

Eva a encore bien des rêves pour elle et les siens. Son frère et sa sœur demanderont aussi la nationalité française, et feront tout pour aider leurs parents à acquérir une situation financière stable qui leur permette de rester définitivement en France. Elle aimerait avoir plus de temps pour accompagner son frère à des soirées, faire du shopping ou aller au cinéma avec ses amies… et aussi, dit-t’elle avec des étoiles dans les yeux, « m’acheter un jour un sac Chanel ! ».

Témoignage recueilli par Anne-Marie

(*) Les personnes étrangères qui font une demande d’asile peuvent obtenir différents types de protection. La protection subsidiaire est attribuée à des personnes issues de pays en situation de violences graves résultant de conflit armé. Cette protection donne droit à un titre de séjour de 4 ans.

(**) PACES = Première Année Commune aux Études de Santé) : année permettant d’accéder à 6 filières : médecine, pharmacie, kinésithérapie, ergothérapie, odontologie et maïeutique, à la suite de concours.

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