Le long chemin de reconstruction de Sow, le Mauritanien

  • Auteur/autrice de la publication :

C’est aux Halles, non loin de son travail, que je retrouve Sow (*), Peul de Mauritanie de presque quarante ans, arrivé en France en 2014. A six ans, il quitte son pays pour le Mali avec ses parents et sa sœur, fuyant les guerres ethniques qui ont fait de nombreuses victimes parmi leurs proches.

La famille réfugiée survit grâce à ses quelques chèvres et vaches. Sow apprend le français, il est apprécié par le directeur de l’école et par son fils, dont il devient l’ami. Mais un jour le père de Sow est retrouvé mort, le corps tailladé, alors qu’il récoltait de la gomme arabique dans la brousse.

Enfants esclaves

Restés seuls parmi les réfugiés, la mère et ses enfants sont très exposés, d’autant plus que la petite sœur est fragile mentalement. Un imam-marabout s’occupe d’eux, et finit par prendre la mère comme quatrième épouse. Sow et sa sœur sont traités en esclaves, envoyés dans la brousse de jour comme de nuit pour s’occuper du bétail et couper du bois.

L’imam rejette la culture française, celle des mécréants, et impose la langue arabe à Sow. Comme il refuse d’apprendre cette langue, il est empêché d’aller à l’école, surveillé et frappé sans cesse, entravé par des cordes, blessures dont il garde les traces. Il murmure : « Je voulais en finir ».

Sa mère meurt en mettant un enfant au monde, faute d’avoir pu voir un médecin. « L’imam se prenait pour un roi détenant la parole de Dieu, ses fils étaient comme des princes. Il m’a quasiment laissé mourir de faim jusqu’à mes trente ans ». Une amie de sa mère lui donne à manger en cachette, mais elle appartient à une « caste d’esclaves ». Quand la fille de cette femme tombe enceinte de Sow, l’imam menace de le tuer s’ils gardent l’enfant, car il n’y a « pas de mélange possible » entre les castes. Mais Sow reconnaît son petit garçon : en représailles, des villageois le blessent gravement au poignard. Il est hospitalisé et opéré.

Quand on ne connaît que son village

Le chef du village lui intime de partir, mais Sow veut récupérer le troupeau de son père. En échange, il reçoit de l’argent dont il ignore complètement la valeur, mais sait qu’on va tenter de le lui reprendre. Il explique : « Je ne connaissais que mon village et les alentours à quelques kilomètres. Je n’avais jamais vu de télévision ni lu de journaux, juste écouté un peu RFI ». Il laisse de l’argent à sa compagne, note le téléphone d’une voisine et paye pour qu’on le conduise en moto à la capitale. Par une famille qui accepte de l’aider, il obtient une carte d’identité et un passeport, mais depuis le Mali, impossible d’avoir un visa pour la France. Ne parlant pas l’arabe, il rejette l’idée de traverser le Maghreb pour prendre un canot, et reste caché pendant des mois. Un homme qui commerce avec l’Europe lui procure un visa pour l’Allemagne, et s’arrange pour que Sow puisse débarquer à l’escale d’Orly.

L’arrivée en France : un choc énorme

Passée la frayeur de la douane, Sow est totalement abasourdi par ce qu’il découvre, un pays moderne qu’il n’aurait jamais pu imaginer. Un taxi l’emmène dans un foyer dans le 13ème, où la peur redouble car beaucoup de maliens y sont hébergés. Comme il n’a pas l’argent nécessaire pour une chambre, il dort dans les escaliers du foyer, y fait la plonge pour un peu d’argent, ce qui lui permet de se nourrir. « Je gagnais presque 100 € par semaine, j’ai acheté des unités de téléphone, rencontré une assistante sociale qui m’a dit où prendre des douches et laver mon linge gratuitement ». Avec le soutien de diverses associations, il obtient son carnet de vaccination, passe des tests de niveau en français, suit une formation en nettoyage… mais ne trouve pas de travail.

Un ami providentiel

Sow rencontre un homme chinois qui devient son ami : il lui procure un téléphone, des tickets de métro, crée son adresse mail, lui montre comment lire les petites annonces, ouvrir un compte bancaire, et lui donne des aliments périmés du supermarché. Sow travaille à Rungis, transporte des charges de 100-150 kg, mais s’épuise vite car le bruit l’empêche de dormir quand il rentre à la mi-journée.

Puis il fait la plonge dans un restaurant africain qui ne le paie pas bien. Curieux, il observe et apprend des techniques de cuisine. Son CV s’étoffe : cuisine, plonge, nettoyage. Mais il dort encore dans les escaliers, n’a toujours pas commencé les démarches pour l’asile, et faute de domiciliation, n’a pas droit à l’aide sociale. Grâce à l’association France Terre d’Asile, il accède à la Préfecture. Son ami écrit sa lettre pour l’OFPRA, mais sa première demande est rejetée. Le rapport de son médecin traitant, qui constate blessures par couteau, séquelles de séquestration et d’opérations, lui permet de déposer un recours. Quatre ans après son arrivée en France, il obtient la protection subsidiaire (**).

Grimper les échelons grâce à la cuisine

Quand Sow rencontre Blandine à la Cimade en 2018 et malgré son nouveau statut, il va très mal. Marie-Astrid l’oriente pour trouver un logement. Tandem paye sa caution, qu’il rembourse dès qu’il le peut.

Depuis 2016 il travaille chez le chef Ducasse, qui l’emploie au nettoyage. En 2018, il signe un contrat de plongeur. Tout le monde le connaît, le respecte : « Je regarde les cuisiniers après mon travail, j’ai appris les techniques de commis de cuisine. Les employés sont comme une famille, je parle avec tous. Mais je dis que  » je suis de France  » car j’ai toujours peur, et je garde mes distance avec les maliens ». Une nouvelle étape vient d’être franchie : le règlement impose d’avoir un diplôme pour obtenir le titre de cuisinier. Sow suit une formation rémunérée de six mois depuis janvier. En parallèle, il prend des cours d’informatique qui lui ont donné confiance et seront validés par un certificat.

L’avenir s’éclaircit

Plusieurs mois après son départ d’Afrique, Sow a rappelé la vieille dame dont il avait le numéro. Plus personne ne le croyait vivant après son agression au poignard. Il apprend que sa petite sœur est morte, et que son fils et sa femme vont bien. Après bien des hésitations sa femme accepte de lui parler. Depuis, grâce à plusieurs intermédiaires, il lui envoie de l’argent. Il a pu passer quelques mois avec elle en 2019 et ils ont eu un autre enfant.

Sow dit qu’il va bien malgré la fatigue, mais qu’il n’aura pas l’esprit tranquille tant que sa famille, avec qui il communique tous les jours, ne sera pas avec lui.

Il conclut : « Les portes se sont vraiment ouvertes quand j’ai connu Tandem. Je sais que je peux compter sur mon accompagnatrice, je l’appelle quand j’ai un problème. A Tandem on t’accueille et on te rassure, on t’intègre, tu n’as plus peur d’aller vers les autres. Maintenant je veux juste apprendre à vivre tranquillement, en ne parlant plus du passé ».

Témoignage recueilli par Anne-Marie

(*) Le prénom a été changé

(**) La protection subsidiaire est accordée aux personnes pour lesquelles il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’elle courent dans leur pays un risque réel de subir :

 la peine de mort ou une exécution

– la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants– une menace grave et individuelle contre sa vie en raison d’une violence aveugle résultant d’une situation de conflit armé interne ou international.

Laisser un commentaire


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.