Sabir, un blessé qui soigne

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Sabir, 28 ans, est né dans un village du sud-Darfour, une région du Soudan en guerre depuis 2003.

Il appartient à l’ethnie Zaghawa, traditionnellement opposée au pouvoir. Le père travaillait dans les travaux publics, mais il a dû se reconvertir dans l’agriculture après avoir été licencié pour « collaboration avec l’opposition ». La mère, qui enseigne à des enfants préscolaires a toujours encouragé les siens : « Gardez la force et l’espoir, vous vous en sortirez par l’étude et le travail ». Dans sa famille, les sept enfants ont fait des études.

Formation scientifique et engagement humanitaire

Un de ses oncles repère les capacités de Sabir et l’accueille en ville pour qu’il bénéficie d’un bon enseignement au lycée. En parallèle, Sabir est bénévole pour l’UNICEF et Médecins Sans Frontières. Il travaille pendant plusieurs années dans des camps de réfugiés et à l’hôpital, où il apprend les gestes infirmiers, distribue les médicaments et s’implique auprès des personnes les plus fragiles.

Il intègre ensuite l’université en biologie et un centre de recherche de Khartoum où il étudie le neem, un arbre dont les molécules sont actives contre les nématodes, ces vers qui détruisent les cultures de tomates et de pommes de terre. Ses études terminées, il rejoint des ONG comme infirmier bénévole.

Un parcours marqué par les violences politiques

Son parcours serait exemplaire si Sabir n’avait pas été intimidé, arrêté, emprisonné et quelquefois torturé du fait de son appartenance ethnique et de ses idées politiques. Adolescent, il est accusé avec un membre de sa famille, qui sera assassiné, d’être un opposant au régime. Il subit emprisonnement, coups, interrogatoires et tortures. Il est finalement relâché mais à nouveau arrêté lors d’une manifestation d’étudiants à laquelle il participe. Un jour, son village est incendié et pillé, sa famille est dispersée, de nombreuses personnes sont tuées et violées. Il doit se réfugier dans un camp pendant 9 mois.

A nouveau arrêté et emprisonné, il est gravement blessé suite aux violences qu’il subit. Conduit à l’hôpital, il trouve la force de s’enfuir en Libye, où il travaille pendant un an. Mais l’horreur le rattrape : il est capturé par une milice qui l’oblige à ramasser les corps des prisonniers morts jetés à la mer.

Survivre grâce à l’entraide

Il est bien placé pour savoir combien est grand le risque de mourir, s’il traverse la Méditerranée avec un bateau de fortune. Depuis l’enfance, Sabir prend des notes en arabe « pour se vider la tête », et dessine des schémas pour trouver comment se sortir des situations difficiles: « Il faut tenter la traversée car si je retourne près des miens, c’est la mort certaine ». L’embarcation qui le transporte avec 145 autres personnes sera secourue aux abords des côtes italiennes. Quand Sabir rejoint la France en juillet 2017, il va très mal : « J’ai refusé de voir un psychologue car je ne voulais pas pleurer devant quelqu’un. »

En mai 2018, il est convoqué pour « réadmission ‘Dublin’ vers l’Italie » (pays par lequel il est entré en Europe). Comme il arrive en retard à l’aéroport à cause des grèves de train, il manque l’avion. Faute d’avoir pu respecter la procédure, il doit attendre 18 mois sans logement ni aide. Le secours viendra de ses professeures de français : elles lui trouvent un avocat, un médecin, organisent une chaîne de solidarité pour qu’il survive grâce à des petits boulots d’entretien de jardins. Les hébergements provisoires se succèdent.

L’espoir au bout du tunnel

Début 2019, Sabir dépose sa demande d’asile auprès de l’OFPRA (*). Un premier témoignage est jugé trop court et imprécis et sa demande est rejetée. Grâce à l’aide et au soutien d’un professeur qui l’héberge, il obtient la protection internationale de la part de la France en septembre 2019, le permis de séjour et le droit de travailler.

Une association le met en contact avec Tandem Réfugiés. Il a besoin de répit encore, pour se poser et sentir quel sera son projet professionnel. Odile l’accompagne, il tente de travailler en maraîchage bio mais n’y est pas heureux. Le temps est nécessaire pour retrouver une vraie envie de vivre.

Odile propose, discute, patiente. Sabir en profite pour apprendre à parler mieux français. Il suit à Dauphine le programme d’insertion Wintergreat, dont le but est « de redonner vie aux projets des personnes réfugiées et d’éviter le déclassement social systématique qu’elles subissent à leur arrivée en France », ainsi que divers cours de français dans des mairies et des associations.

Une formation d’aide-soignant et le désir de devenir infirmier

Sabir choisit enfin sa voie en France : travailler dans le soin. Son accompagnatrice lui trouve une formation auprès de la Croix-Rouge, qu’il suit depuis janvier 2021 à Mantes-la-Jolie. Les mois de cours alternent avec les mois de travail dans un Foyer d’Accueil Médicalisé (FAM) à Herblay. Il a déjà validé six modules sur les huit que compte sa formation.

Quand Sabir parle de ses cours d’aide-soignant et de son travail en alternance auprès d’handicapés, on le sent heureux : « Je lis les dossiers des patients pour comprendre leur maladie, leur histoire, pourquoi ils sont tristes ou en colère J’ai toujours un visage souriant. J’aime les gens, m’asseoir pour les écouter et leur parler ».

On sent qu’il ne s’arrêtera pas en si bon chemin : « Au foyer, je fais tout sous le contrôle d’un infirmier. Je suis des cours de pharmacologie sur internet, je photographie les boîtes de médicaments pour étudier les indications et les posologies ».

Là encore, Sabir a rencontré de bonnes fées. Valérie de la Croix-Rouge lui a donné beaucoup de courage : « Tu as toutes les compétences pour réussir ». La responsable du FAM d’Herblay a trouvé son CV riche, et proposé de l’embaucher une fois son diplôme en poche. Julie sa professeure lui a donné des livres de formation d’infirmier.

Se cultiver et créer toujours plus de liens

Sabir est maintenant hébergé dans un logement étudiant à Marx Dormoy. Par chance, il n’est pas obligé d’envoyer de l’argent à sa famille, car un frère aîné y pourvoie. Il dit que l’argent n’est pas son moteur : celui qu’il gagne avec son alternance lui permet d’imprimer des cours et d’acheter des livres.

Pour évacuer les sombres souvenirs et la tristesse souvent présente, il va courir seul, écoute de la musique, observe les arbres et les fleurs, pense à des choses positives. Et seulement quand il va mieux, il retrouve des amis dans des cafés et téléphone à sa famille.

Sabir conclut : « La France protège et donne beaucoup. Je vais approfondir ma connaissance de la culture française en écoutant les gens, en créant des liens. Il ne faut pas avoir peur de communiquer ».

Sur le chemin vers le métro, nous passons devant une église. Je propose d’y entrer pour regarder sculptures, fresques et vitraux. Sabir est d’accord : « Je respecte toutes les religions. On y trouve l’espoir et la force quand on est fatigué. Tu sais, j’ai lu les évangiles, c’est aussi un moyen pour moi de comprendre la culture d’ici ».

Ce jeune homme est décidément ouvert au monde, il détient les clés pour se construire une belle vie.

Propos recueillis par Anne-Marie

(*) OFPRA : Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides

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