Shirin, 35 ans, est née en Syrie dans une famille kurde de cinq enfants. Elle grandit à Afrin, au cœur d’une région de conflits entre forces turques et kurdes, islamistes et régime syrien. A partir de 2005, elle suit des études de philosophie puis de journalisme à Damas, tout en travaillant à mi-temps dans un journal. En 2013, son frère, également journaliste, est arrêté par le régime et jeté en prison pendant plus de deux ans. A partir de cette arrestation, toute la famille, qui reste sans nouvelles du prisonnier pendant un an, est en danger. Contraint de s’accuser d’être un terroriste à la télévision nationale, son frère arrivera à s’enfuir en Turquie en 2015, puis à rejoindre la France.
Dès 2013, Shirin part en Turquie (le pays a ouvert sa frontière aux syriens sans visa) où elle contacte des organismes pour tenter de trouver où son frère est détenu. Pendant quatre ans, elle travaille dans des ONG qui apportent leur aide aux régions syriennes opposées au régime. Mais en 2016, Shirin reçoit l’ordre de quitter la Turquie dans les 15 jours. Elle dépose une demande d’asile à l’ambassade de France, obtient un visa, et alors qu’elle ne connait pas un mot de français, rejoint son frère à Paris. Une famille l’accueille pendant un an, mais sans titre de séjour, Shirin ne peut pas travailler et peine à rencontrer des associations anglophones qui puissent l’aider. Après avoir obtenu son titre de séjour, et grâce à un ami Syrien, elle rencontre Tandem et Marie-Astrid, son accompagnatrice, qui lui trouve un appartement et des baby-sittings. Les cours de français lui permettent progressivement d’atteindre le niveau B1.
Shirin se mobilise alors pour entrer dans un master recommandé par Tandem dans une école de management des métiers de l’humanitaire, l’Ecole 3A. Mais elle doit d’abord suivre des cours de mise à niveau en comptabilité et marketing, réussir le concours d’entrée et trouver les 9 000 € pour l’inscription. Tandem appuie son dossier, l’école accepte de diminuer un peu les frais d’inscription et un prêt bancaire de la BNP est accordé. En 2019, Shirin obtient un master 2 spécialité coopération et action humanitaire : c’est la première Syrienne diplômée de cette école. En parallèle de ses études, elle continue de travailler avec des ONG syriennes et honore un contrat d’évaluation de projets pour la Syrie (un travail en ligne).
Après son master, trouver un travail n’a pas été facile. Shirin bénéficie du programme « Duo for a job » avec des seniors bénévoles qui coachent des jeunes en recherche d’emploi. Pendant six mois, elle passe de nombreux entretiens, sans succès. Ayant finalement pris le statut d’auto-entrepreneuse, elle coordonne des projets pour trois radios syriennes et rembourse son prêt car « elle n’aime pas avoir des dettes ». Au bout d’un an, une des radios lui propose un CDI : elle gère désormais une équipe (en anglais et en arabe) pour la recherche de fonds en faveur de projets syriens.
Rendre à Tandem ce que Tandem m’a donné
L’accompagnement par Tandem pendant deux ans a été très positif. Outre le soutien pour ses études, Shirin a bénéficié, avec d’autres personnes réfugiées, d’une semaine de vacances : « Tandem m’a beaucoup aidée. On est accompagné comme par sa famille. Je n’ai rencontré aucune autre association avec une telle chaleur humaine ».
Pour l’instant, un travail en langue française lui semblerait trop difficile. Pourtant, elle souhaite rencontrer plus de Français et changer sa routine. Elle lit tout ce qu’elle trouve sur les fondations et les associations d’aide aux réfugiés. Sa réflexion l’a amenée à proposer ses services comme bénévole à Tandem, et à rencontrer Pascale, Jérôme et Benoît qu’elle pourrait aider dans les recherches de financements : « C’est bien de rendre un peu de ce qu’on a reçu. Cela renvoie à l’idée d’intégration. Nous, les réfugiés, pouvons être des forces dans ce pays. Nous avons juste besoin d’un peu de sécurité et de stabilité pour commencer notre vie de citoyen ».
Se relever toujours et continuer d’agir
Shirin avoue une grande fatigue psychologique, et voit sa vie comme une succession de traumatismes et de combats depuis 2011 : « Ça ne s’arrête jamais, pas une année sans un grand défi. La guerre a commencé quand j’avais 23 ans, c’était un énorme choc, aggravé par l’emprisonnement de mon frère. En Turquie, je me suis bien adaptée, mais je pensais encore pouvoir rentrer en Syrie. J’ai dû à nouveau partir et me reconstruire, apprendre une nouvelle langue à trente ans. Je trouve difficile de s’intégrer en France, de se faire des amis, surtout à Paris. A 35 ans, je n’ai toujours pas de nationalité car la préfecture n’a pas changé mon adresse sur ma carte de séjour, alors que j’ai mon appartement depuis un an. Il m’est impossible de demander la nationalité française dans ces conditions. Bien que je ne perçoive pas d’aide sociale, que j’aie une vie stable, un CDI, je rencontre toujours des obstacles, liés à la lenteur de la bureaucratie ».
Ses séances avec des psychologues ont été interrompues par le Covid, et Shirin veut désormais « s’aider elle-même » et mettre en avant les points positifs de sa vie, comme la bonne intégration de ses parents à Metz (ils ont dû fuir leur village bombardé par les Turcs en 2018), et la bonne entente avec sa famille : sa sœur suit des études d’architecture, un frère est opticien en Allemagne, un frère journaliste en France et un autre ingénieur. Shirin lit et écrit beaucoup pour s’occuper l’esprit… Nous nous sommes quittées sur ces pensées positives.
Quatre jours après notre rencontre, le terrible séisme du 6 février 2023 détruisait sa région de naissance en Syrie (Jinderes) et celle où elle avait trouvé refuge en Turquie (Gaziantep). J’ai reçu ce message : « Avec mon association Radio Rozana (www.rozana.fm), nous essayons de couvrir toutes les nouvelles, nous sommes dans une situation d’extrême urgence, tous en état de choc. Ceux de nos amis, familles, voisins, collègues de travail qui ne sont pas morts ont été déplacés. Leur situation est catastrophique ».
Et plus récemment celui-ci : « Les zones touchées en Syrie auront besoin d’aide dans la durée. La situation nécessite l’intervention des pays, des organisations internationales et l’aide de chacun. Nos régions auront besoin de nombreuses années pour sauver ceux qui sont encore en vie ». A nous d’aider dans la mesure de nos moyens.
Propos recueillis par Anne-Marie