Lire et écrire, l’heureuse découverte d’un garçon de 15 ans

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Allah Mohammad chez Isabelle – Mai 2019

Quatre bénévoles de Tandem accompagnent Allah Mohammad dans son apprentissage du français. Je le rencontre chez Isabelle qui l’accueille tous les lundis pour une aide à la lecture et un déjeuner.

Allah Mohammad est arrivé en France il y a 2 ans, avec son grand-frère Jumadeen :

« En Afghanistan, j’allais une à deux fois par semaine à l’école. Elle était payante mais on n’apprenait rien. Le trajet était dangereux, il y avait des rapts d’enfants pour les rançons, les professeurs étaient des talibans. Encore hier, trois bombes ont explosé près de la maison de ma famille. Je ne sais ni lire ni écrire ma langue, le pachtoune. Mon père savait un peu lire, mais pas assez pour m’apprendre. »

La première année en France, Allah Mohammad et son frère changent d’hôtel tous les quinze jours, d’une banlieue à l’autre. Impossible dans ces conditions de s’inscrire dans un collège. A 14 ans donc, Allah Mohammad ignore ce qu’est l’école.

Depuis un an, Allah Mohammad et son frère ont un studio dans un hôtel social à Arcueil. Le passage dans un premier collège sans classe adaptée ne lui a permis que de découvrir des rudiments de français parlé… avec des élèves eux-mêmes étrangers.

Son regard s’éclaire quand il parle de son nouveau collège à Villejuif :

« Depuis la rentrée, je suis dans une classe UPE2A (Unité Pédagogique pour Elèves Allophones Arrivants) de 19 élèves. Nous étudions le français, les maths (pour l’instant les opérations) et l’anglais. Il y a des algériens, tibétains, péruviens, tunisiens… pas d’afghan. La seule afghane que j’ai rencontrée au collège parle un dialecte que je ne connais pas ! »

Enthousiaste, dans un français simple mais compréhensible, Allah Mohammad raconte sa classe centrée sur le projet « Paris : histoire et culture » qui vise à compléter l’intégration linguistique par l’intégration culturelle. Pendant l’année, ils feront une quinzaine de sorties d’une demi-journée :

« Regarde le site (https://collegeguymoquetvillejuif.fr/upe2a/) ! Nous avons visité le Louvre, les Catacombes, le musée d’Orsay, Beaubourg et pris les Bateaux-Mouches. C’est incroyable tout ce qu’il y a à voir à Paris ! Après chaque visite, nous fabriquons un album de photos et nous écrivons des commentaires. Nous travaillons aussi à l’ordinateur, c’est encore compliqué pour moi. J’apprends à recadrer les photos, à bien présenter un document. Nous faisons des frises chronologiques, des recherches sur les personnages historiques, les œuvres d’art. »

Allah Mohammad parle aussi du travail sur les unes de journaux qu’il doit présenter face à la classe, de son goût pour l’actualité (il regarde le journal de France 2), de la bibliothèque du collège où il fait ses devoirs et emprunte des livres, de son inscription en bibliothèque. Son appétit d’apprendre est évident.

C’est ce que me confirment les 4 bénévoles de Tandem qui aident Allah Mohammad dans sa scolarité.

Cécile a été professeure de lycée et coach pédagogique. Après avoir accompagné Joumana et ses enfants Sara et Ahmad (cf. article sur le blog de Tandem « Sara, 22 ans, syrienne, étudiante aux arts déco »), elle rencontre Jumadeen, 28 ans, qui lui explique les espoirs que la famille porte sur son frère le jeune Allah Mohammad. Elle ne peut que constater la marche gigantesque à franchir pour qu’il puisse rejoindre un parcours scolaire classique. L’adolescent doit s’exercer à écrire, mais il n’a pas le temps nécessaire pour des petits cours.

Cécile propose à Allah Mohammad d’envoyer chaque soir, avec son téléphone, la photo de 3 phrases qu’il aura écrites à propos de sa journée. Elle lui renvoie immédiatement les textes corrigés. Allah Mohammad est investi, régulier, les progrès sont rapides.

Cécile a aussi organisé une réunion téléphonique avec la professeure de l’UPE2A et les bénévoles de Tandem pour ajuster l’accompagnement scolaire. La professeure est touchée par l’investissement matériel, affectif et pédagogique. Elle transmet volontiers son évaluation des besoins scolaires de l’adolescent.

Pierre accueille Allah Mohammad les lundis pour l’aide aux devoirs. Lui aussi note la grande volonté de son élève, qui est moteur dans son apprentissage. Pierre souhaite l’accompagner pendant l’été, en français et en calcul, afin qu’il puisse aborder l’entrée en 4ème le mieux armé possible.

Les mercredis, Allah Mohammad se rend dans l’atelier de Chantal. Non francophone de naissance, elle connaît particulièrement bien les difficultés de notre langue. Après chaque leçon de français, elle prolonge la séance agréablement. Chantal parle d’un élève éveillé et curieux de tout, mûr et agréable, artiste, à l’intelligence intuitive. Elle l’initie à l’aquarelle, à la cuisine, tout en bavardant… sans omettre de corriger les fautes de vocabulaire et la construction des phrases.

Isabelle elle aussi décrit la gourmandise d’apprendre d’Allah Mohammad, curieux du moindre nouveau mot. Isabelle corrige les écrits qu’il apporte, fait de la lecture suivie dans des livres empruntés au collège, et partage le déjeuner avec lui, l’occasion d’échanger sur des questions autres que scolaires.

Au niveau scolaire, le challenge était qu’il acquière en un an le niveau qu’un enfant met huit ans à atteindre. Le collège seul n’y aurait pas suffi. Jumadeen le dit :

« En arrivant en France, Allah Mohammad était encore un enfant. Grâce au collège et à l’aide des bénévoles de Tandem, mon petit frère mûrit. Il sait réfléchir aux situations, il s’ouvre au monde qui l’entoure. C’est bien ! »

Interviews recueillis par Anne-Marie

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