Le rêve d’Aissatou : apprendre la pâtisserie

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Les premiers jours en France sont un combat

Ce qu’a vécu Aïssatou, 33 ans, avant sa fuite de Guinée, elle n’a plus envie de le raconter. Elle dira juste qu’après la mort de son père, elle est confiée à un oncle militaire et doit arrêter l’école en fin de primaire pour s’occuper de la famille pendant onze années. Puis elle est vendue à un autre militaire et subit quotidiennement des violences. Elle demande sans cesse à Dieu de lui donner la force de s’échapper.

Grâce à un passeport emprunté procuré par la mère d’une amie, Aïssatou arrive à Roissy en octobre 2013. Elle ne parle pratiquement que le pulaar, et elle est complétement perdue. Une guinéenne rencontrée dans une gare l’héberge quelques jours. La Croix Rouge lui donne une domiciliation pour lui permettre d’enregistrer sa demande d’asile. Aïssatou apprend vite : « Les premières fois j’ai passé des heures devant la préfecture et je n’ai même pas pu entrer. Le troisième jour, j’ai attendu dehors toute la nuit, j’étais la première dans la file et j’ai enfin obtenu mon récépissé ».

Les mois qui suivent sont aussi difficiles

Se repérer dans le RER, apprendre un peu de français, obtenir un téléphone portable de l’OFII*, passer des heures à appeler le 115, quitter les hébergements au petit matin… Dans certains foyers, l’hygiène est déplorable, des femmes parlent ou crient toute la nuit. Aïssatou tombe malade et doit être hospitalisée. Au fil des mois elle trouve de l’aide auprès de plusieurs associations, dont la CIMADE où elle rencontre Blandine qui n’a pas encore créé Tandem. Terre d’Asile lui trouve une chambre partagée avec trois autres personnes.

À partir de 2015, Aïssatou rend un peu ce qu’elle a reçu en participant comme bénévole aux actions du Secours Populaire. Deux fois par semaine, avec les employés de la mairie d’Athis Mons, elle prépare des repas : grâce à eux, elle sort de son isolement, découvre la cuisine d’ici, et décide ce qu’elle veut faire dans la vie : « De la pâtisserie, à Paris ! ».

L’école de Thierry Marx, cuisinier engagé

Chez Tandem Réfugiés, Aïssatou a une marraine, Laurène, qui remue ciel et terre pour lui trouver un patron, condition pour pouvoir suivre les cours dans l’école de Thierry Marx. Elle raconte : « Laurène a appelé partout. Encore maintenant, alors que je travaille depuis plusieurs années, je reçois des appels de boulangeries qu’elle a contactées pour moi ».

Thierry Marx considère la cuisine comme « un lien naturel et social qui peut rassembler les hommes ». Multi-étoilé, il ouvre en 2012 à Ménilmontant une formation gratuite aux métiers de la restauration, « Cuisine, mode d’emploi(s) », pour les jeunes sans diplôme et les personnes en réinsertion, qui débouche sur un certificat de qualification professionnelle.

Aïssatou rédige son CV et réussit son entretien. Elle explique : « C’est une excellente formation en boulangerie, pâtisserie, cuisine et service, qui dure trois mois. Thierry Marx est très présent. C’était difficile car certains élèves avaient des CAP, et moi j’ai arrêté l’école en primaire. En cuisine on fait beaucoup de calculs, j’ai appris à utiliser la calculette. On alterne enseignement théorique et exercices pratiques, on participe à des évènements qui nous mettent en situation réelle de travail. Cette formation m’a donné beaucoup de courage ».

Travailler et gagner sa vie, enfin !

Aïssatou complète sa formation avec un bénévole de Tandem qui l’aide à progresser en calcul mental. Elle commence à travailler à Saint-Germain-des-Prés. A l’été 2018, elle livrait son expérience avec enthousiasme dans un petit film pour la Newsletter de Tandem.

Elle explique : « Mon but c’est apprendre, pas l’argent. Je suis très organisée, je ne compte pas mes heures, je gère les matières premières, j’ai formé les nouveaux arrivants, je fais tout ce qui était difficile, j’accepte tout ».

Mais après trois ans de travail acharné, Aïssatou est épuisée. Comme elle habite à Vigneux, à 30 km de Paris et qu’elle commence le travail à 4 heures du matin, elle doit se lever à 1h30 pour attraper ses deux bus de nuit. Le dimanche est son seul jour de repos, les heures supplémentaires ne sont pas payées, elle ne peut pas prendre ses congés, ses titres de transports ne sont pas remboursés, ses salaires sont inexplicablement variables. Suite au départ de plusieurs employés, Aïssatou doit faire « de la cuisine » alors qu’elle ne rêve que de pâtisserie. On lui fait comprendre que sans CAP, si elle s’en va elle ne retrouvera pas de travail.

De fait en travaillant de 4h à 16h, elle n’a pas le temps de chercher ailleurs. Pendant toute une année elle sollicite des rendez-vous pour faire le point avec son patron, sans réponse. Aïssatou retourne à Pôle emploi, refait son CV.

Coûte que coûte, faire de la pâtisserie !

Tandem a accompagné Aïssatou pendant deux ans, comme les autres réfugiés. Toutefois en 2019, elle se rapproche à nouveau de Marie-Astrid pour pouvoir trouver un avocat. Celui-ci lui conseille de ne pas démissionner avant d’avoir signé pour une période d’essai. Elle reçoit des lettres recommandées et des menaces de son employeur, qui lui accorde enfin un rendez-vous : il loue son travail, lui propose de changer de boutique, et lui laisse un temps de réflexion.

Mais Aïssatou sait qu’elle continuera à faires des salades et des sandwiches, ce qu’elle refuse. Elle termine son préavis et fait un essai concluant chez un nouveau patron. Depuis mi-septembre 2019, elle est en CDI et fait de la pâtisserie.

Se battre pour atteindre son rêve 

Même s’il reste le problème des trajets épuisants, Aïssatou dit qu’elle a beaucoup de chance, que son travail lui a permis d’avoir un logement. Blandine lui a redonné confiance à son arrivée à la CIMADE : « Je ne dormais pas, je n’avais personne et ne connaissais rien. Je lui ai tout confié, tout le mal qu’on m’avait fait. Avec Marie-Astrid et Laurène, elles m’ont donné le courage d’avancer. »

Aïssatou trouve aussi la force dans la prière. Elle a des amis rencontrés lors de sa formation et dans le travail, et reste en lien avec sa mère à qui elle ne raconte que le bon côté des choses.

Joyeuse et déterminée, elle conclut : « Le peu que j’ai appris je l’ai appris le cœur ouvert ! Même dans la souffrance, je sais que tout cela va me servir. J’ai toujours travaillé comme si c’était chez moi, car mon rêve c’est d’avoir un jour ma propre affaire ».

Propos recueillis par Anne-Marie

* L’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration) est responsable du premier accueil des demandeurs d’asile et ouvre les conditions matérielles d’accueil (CMA) aux demandeurs d’asile après leur passage en guichet unique pour demandeurs d’asile (GUDA). L’OFII gère en partie les entrées dans les Centres d’Accueil pour demandeurs d’asile (CADA) et les Centres Provisoires d’Hébergement (CPH)

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