« L’homme qui marche seul, c’est moi »

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Abdoulaye*, la quarantaine, est à l’évidence un homme sensible. Né dans une famille de cinq enfants, il a perdu très jeune son père, un pêcheur-agriculteur. L’interviewer, c’est attraper quelques touches impressionnistes, des morceaux de vie pas trop précis – car l’homme a toujours peur -, mais suffisamment explicites pour composer le portrait d’une personne généreuse, engagée, curieuse, d’une grande humanité.

À mots couverts, il évoque sa vie en Afrique : « la Mauritanie c’est comme du miel, c’est un très beau pays, il y a de la solidarité sociale. Mais une minorité a tous les droits et détient seule le pouvoir ».

Abdoulaye a été discriminé du fait de son ethnie, de son nom de famille. Curieux et cultivé, il aimait rencontrer les touristes. Musulman engagé auprès des femmes dans des associations de sensibilisation sur l’allaitement, la nutrition, il animait des réunions sur les droits et devoirs des citoyens, et le racisme. Plutôt imposant, il ne se laissait pas faire même quand il subissait des pressions à cause de ses interventions sur ces sujets sensibles.

En 2018, il a été faussement accusé de faire passer des messages subversifs. Il a été contrôlé, placé en garde à vue, insulté, menacé par des hommes en civil. Il a résisté jusqu’à ce qu’il comprenne que cela mettait en danger sa famille. Il a vécu un enfer qui l’a plongé dans une grande détresse psychologique. Il n’a plus vu qu’une solution : fuir son pays.

L’arrivée à la Porte de la Chapelle

Abdoulaye évoque son arrivée à Paris : « comme j’avais une image positive de la France, j’ai été désorienté par la situation à la Porte de La Chapelle. Je ne connaissais personne, j’étais sans argent, je passais mes nuits dehors. C’était la période de Noël et les bénévoles étaient pour la plupart en vacances ». Habitué à gérer les conflits, Abdoulaye tente de calmer les altercations qui éclatent autour de lui. Comme il parle le français et l’arabe, un peu l’anglais et l’allemand, il devient une sorte de parrain bienveillant pour les migrants. Il se fait voler l’argent qu’il a reçu de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Il dit s’être souvent senti aussi vulnérable qu’un nouveau-né. Malade, affamé, souffrant du froid, il cherche de l’aide auprès d’une association à Saint-Michel. Abdoulaye refuse de quitter la file d’attente de trois cents personnes qu’on disperse devant les locaux, et reste sans bouger jusqu’au matin. Suite à un désistement, il fait partie des vingt personnes prises en charge ce jour-là. On l’envoie à Cergy : « cela a été ma chance. J’ai rencontré des associations, je suis allé à la Préfecture et j’ai obtenu une place en foyer à Saint-Denis ».

Une formation et un travail en CDI

En septembre 2020, Abdoulaye obtient l’asile. Il suit une formation aux métiers de la sécurité pendant quelques mois, qui lui a semblé très difficile pour plusieurs raisons : faute d’argent, il n’allait pas à la cantine et mangeait très peu, il a eu des problèmes de santé, et l’apprentissage était très scolaire : « en France il y a beaucoup d’articles de loi ! Il m’a fallu apprendre les 580 pages du livre de formation ».

Mais il reconnaît qu’il s’est senti « comme avec des frères qui s’entraident » avec les autres élèves, et que le formateur était un type génial et plein d’humour, un vrai coach. Au début de la formation, Abdoulaye était le plus faible, mais il a terminé parmi les cinq premiers. Son passé d’organisateur de réunions, sa connaissance de l’informatique et l’habitude de faire des présentations ont été ses atouts.

Abdoulaye a trouvé des vêtements corrects, passé des entretiens et rapidement obtenu un travail de surveillant en CDI. Les horaires sont très variables, de jour comme de nuit. Il envoie une partie de son argent à sa mère : « c’est normal car elle m’a donné la vie ».

« Dans le mot Tandem j’entends le rythme du tambour »

Abdoulaye a contacté par mail une dizaine d’associations, et c’est Tandem qui lui a répondu : « j’aime le mot Tandem même si je ne sais pas ce qu’il représente (je lui dessine un tandem NDLR). Je lui trouve le rythme d’un tambour. J’ai toujours prié pour trouver la bonne personne, et ça a été Blandine. J’ignorais que c’était la présidente de l’association, elle m’a porté bonheur. Deux semaines après l’avoir rencontrée, j’ai trouvé un travail ».

Abdoulaye tient à faire la liste de ce que lui apporte l’association : d’abord la mise en confiance, les relations humaines dont il avait tellement besoin, le fait de se sentir aimé, la chaleur « d’une famille », alors qu’on est séparé des siens, la fraternité dans le groupe. Il précise : « j’aime les Cafés Tandem, où je peux échanger sur tous les sujets avec des refugiés de toutes nationalités. J’apprécie l’idée d’un contrat entre l’association et moi, pour une durée après laquelle on cède sa place pour que d’autres aient la chance d’être accompagnés ». Pour évoquer Tandem, il prend l’image d’un avion au démarrage : « on te pousse, tu décolles et tu prends ton envol ».

Poser son fardeau

L’OFII lui a procuré un hébergement pendant deux ans. Quand il a signé son contrat de travail, Abdoulaye a laissé sa place « à d’autres qui en avaient plus besoin ». Tandem lui a loué un studio d’avril à septembre 2021. Ensuite il a déposé un recours auprès du Droit au logement opposable (DALO). Avec ses trois bulletins de paie, il est allé à la Maison de l’emploi et « la bonne personne » l’a orienté vers Action logement. Son dossier est resté en commission pendant quatre mois durant lesquels il a jonglé entre des colocations et des hôtels de fortune.

En décembre 2021 l’assistante sociale lui a annoncé qu’il avait un logement : « on a pleuré tous les deux quand j’ai signé le contrat. J’avais un logement à moi, « une maison en France », ça m’a procuré une joie immense, telle que personne ne peut vraiment comprendre ». Il explique ce que représente cet appartement pour lui : c’est un endroit pour se retrouver, pour enfin dormir. Il n’a pas pris tout de suite son contrats d’électricité. Avoir un toit, un matelas gonflable et une couette suffisaient à son bonheur. Il précise : « je suis sous MON toit. Je pose mon fardeau. Dehors, les gens se bousculent, sont agressifs, je ne peux pas m’empêcher de penser à ma famille et ça me rend triste ».

Découvrir la France

Abdoulaye explique que son salaire lui a apporté la liberté. Il veut profiter de la vie et voyager pour découvrir la France : la Normandie, l’Ardèche (sa région préférée), la Côte d’Azur, Marseille (à cause du club de foot), Bordeaux. Dès qu’il peut, il part quelques jours, avec sa soif de connaissance : « j’ai une passion pour la découverte, je visite les musées, les églises, les châteaux. J’aime voyager seul : l’homme qui marche tout seul c’est moi ».

Il raconte aussi que traverser Paris lui met une énorme pression. Il supporte mal de voir les gens malheureux, les mères avec des enfants à la rue, les mendiants assis par terre. Il leur donne de l’argent, car comme dit le proverbe indien « ce qui n’est pas donné est perdu ».

Abdoulaye avoue ses peurs persistantes : « les personnes en uniforme m’effraient. On m’a proposé des séances avec un psy, mais je veux être « mon propre psychiatre ». Pour me dégager de la peur, ma recette c’est : rire, pleurer, échanger ».

Le rêve d’Abdoulaye : un métier dans le domaine social

Abdoulaye préfèrerait avoir un métier dans le domaine social, dans un cadre plus humain, mais reprendre des cours lui semble parfois au-dessus de ses forces. Il a postulé pour des formations de brancardier, mais n’a pas eu de retour. Il aimerait travailler dans le secteur de la santé, dans une mairie, être interprète à l’OFII ou l’OFPRA.

Abdoulaye explique son attirance pour le social et pourquoi il respecte tous les hommes sans distinction : « j’étais orphelin et j’ai manqué de l’amour d’un père. Donc j’ai toujours voulu être quelqu’un qui aide, encourage, encadre. Je suis musulman pratiquant, mais je respecte toutes les religions. J’étais très ami avec une sœur catholique dans mon pays ».

Il tient à exprimer ici sa reconnaissance envers les organismes d’état et les associations qui viennent en aide aux migrants,

Avant qu’on se quitte il me dit en souriant : « ça m’a fait du bien de parler, mais qu’allez-vous faire avec toutes ces informations sans ordre ni cohérence. Je vous souhaite bon courage ! ».

J’ai mis mes notes en ordre et j’espère avoir su dessiner le portrait d’un homme attachant, qui continue à avancer avec ses doutes et ses blessures, sa curiosité et ses espoirs.

* Le prénom a été changé

Témoignage recueilli par Anne-Marie

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